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Now You Loose Old Nippon ! L'invention du nylon par Du Pont de Nemours en 1934, et sa mise en vente en 1939, marquait une formidable revanche commerciale, industrielle et technologique sur l'hégémonie japonaise concernant les articles en soie. Les équipes dirigées par Wallace Carothers ont en effet mis au point le nylon et commencé à vendre des bas nylon en 1940, mais il a fallu presque aussitôt stopper cette production pour permettre la fabrication d'articles militaires, principalement les parachutes et en septembre 1945 la vente des bas nylon reprit et ce fut une folie.

 

Mais l'ouvrage de Pap Ndiaye s'en tient à un autre objectif : l'histoire de la firme Du Pont étudiée du point de vue de ses personnels — les ingénieurs chimistes et leur carrière — devenus essentiels après 1914 et plus encore après 1940 dans la constitution de ce qu'on a appelé avec le président Eisenhower « le complexe militaro-industriel ».

 

La firme Du Pont a été fondée en 1802 par Eleuthère Irénée Du Pont suite à la demande du président Madison de disposer d'un grand producteur de poudre pour l'armée. Jusqu'à la Première guerre mondiale la firme restée familiale a produit des poudres et de la dynamite. Ses profits durant ce conflit ont atteint des sommets. Mais elle n'employait pas d'ingénieurs chimistes car la profession émergea seulement durant le conflit. C'est à partir de cette période que l'on songe à former des ingénieurs chimistes à l'université — notamment au MIT — et bientôt Du Pont en est devenu le premier recruteur. Avec eux Du Pont devient un spécialiste des polymères, d'où le nylon (produit notamment à Martinsville en Virginie) et d'autres matières synthétiques qui seront mises sur le marché, comme le téflon en 1949 ou le lycra en 1965. Ainsi vers 1955 l'entreprise emploie 10 % de tous les ingénieurs chimistes des États-Unis : 3 400 sur un total de 34 000. Blancs, protestants, patriotes et républicains conservateurs, tel est leur portrait-type. Les années 50 et 60 voient l'apogée de la notoriété des chimistes de Du Pont, artisans du développement de produits pour le grand public. Cependant après 1970 la firme et ses ingénieurs sont accusés de polluer fleuves, sols et nappes phréatiques, et d'être des apprentis sorciers destructeurs de l'environnement. Une autre branche d'activité de la firme a joué un rôle dans ce renversement de l'opinion.

 

 

Avec la poudre, avec les explosifs, avec le nylon des parachutes, Du Pont est un important fournisseur de l'armée. Mais on connait moins sa participation au projet Manhattan puis à la fabrication de la bombe H. C'est à l'automne 1942 que Du Pont est invité par le général Groves à participer au projet Manhattan qu'il dirige pour sa capacité à concevoir, construire et assurer le fonctionnement d'usines compliquée aux technologies exigeantes. Ainsi en 1943 et 1944 Crawford Greenewalt, pilote pour Du Pont le chantier du complexe industriel d'Hanford au bord de la rivière Columbia dans l’État de Washington. La production de plutonium y est assurée en 1945 juste à temps pour être livrée au centre de Los Alamos et une première expérimentation a lieu à Alamogordo le 16 juillet ; ainsi Du Pont a participé à la naissance de « Fat Man » larguée sur Nagasaki le 9 août. Auparavant, dès 1943, l'usine-pilote d'Oak Ridge dans le Tennessee a commencé à produire l'uranium 235 qui fut utilisé pour la bombe qui détruisit Hiroshima, « Little Boy », un modèle unique. Ainsi voit-on que tout le mérite du projet Manhattan ne revient pas aux seuls physiciens de Chicago.

 

H canyon - Le complexe de séparation isotopique de Savannah river (source : DOE)

 

Les contrats nucléaires avec l'armée ne prévoyaient aucun profit financier pour Du Pont restée encore une affaire familiale : ils constituaient une contribution civique et une démonstration de la supériorité de ses ingénieurs. Dès lors que la victoire est acquise, Du Pont se désengage apparemment du secteur nucléaire consentant seulement à attendre qu'en 1946 General Electric prenne en charge le complexe de Hanford. Mais au bout de quelques années de Guerre froide, d'abord marquées par la chute du budget militaire (de 81,8 Mds $ en 1945 à 10,9 en 1948), l’État fédéral a de nouveau besoin des ingénieurs de Du Pont. La guerre de Corée vient d'éclater. Le contrat signé entre l'AEC (la Commission de l'Énergie Atomique) et Du Pont le 17 octobre 1950 aboutit à l'édification du complexe de Savannah River : cinq réacteurs nucléaires, des usines de séparation chimique du plutonium et de production d'eau lourde, soit un investissement de plus d'un milliard de dollars sur les années 1951-1954. Du Pont embauche 1200 ingénieurs et et techniciens pour sa nouvelle division AED vouée au nucléaire. Deux ans après le premier essai de bombe H — 1er novembre 1952 — l'usine devenue la fierté de firme Du Pont commença à livrer ses matériaux fissiles.

 

Au-delà des années 1970, Du Pont s'écarterait et du nucléaire et de certains textiles synthétiques pour envisager de multiples diversifications, depuis le pétrole jusqu'aux biotechnologies. Mais les ingénieurs états-uniens ne regarderaient désormais plus beaucoup vers la chimie, ils se tourneraient de plus en plus vers l'aéronautique, l'électronique et l'informatique.

 

 

Pap Ndiaye : Du nylon et des bombes. Du Pont de Nemours, le marché et l’État américain, 1900-1970. - Belin, 2001, 397 pages.

 

 

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1900-2000, #ETATS-UNIS, #SCIENCES ET TECHNIQUES
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