Pour la Journée de la Femme, j'ai choisi de lire "Quand les femmes auront disparu…" de Bénédicte MANIER. (Éditions La Découverte, 2006, 187 pages). Le sujet c'est le sous-titre : l'élimination des filles en Inde et en Asie. Du Pakistan à la Corée, il manque 100 millions de femmes. L'INDE est au centre du livre, avec des échappées sur la Chine pour l'essentiel.
La tyrannie de la dot
« En 2003, Nisha Sharma, une jeune Indienne de la banlieue de Delhi, est devenue sans le vouloir une héroïne nationale. Étudiante en informatique, issue d'une famille de la classe moyenne éduquée et aisée, elle devait se marier avec un enseignant peu payé, dont la famille avait demandé une dot substantielle : réfrigérateur, climatiseur, four à micro-ondes, stéréo et télévision... Le tout en deux exemplaires. Sans sourciller, le père de Nisha a payé. Les exigences sont ensuite montées d'un cran: le futur mari a demandé une voiture et une rallonge financière de 54 500 roupies (1035 euros). Là encore, le père a payé. Mais, à la veille des noces, nouvelles surenchère : la future belle-mère a exigé 1,2 million de roupies cash (22 700 euros). Cette fois, le père a refusé, mais a été insulté et giflé. Nisha a alors appelé de son portable la police et fait arrêter le fiancé et ses parents pour extorsion. Un acte rarissime et courageux, qui a immédiatement propulsé la jeune femme à la une des médias et lui a valu des félicitations de tout le pays. De nombreux articles ont été écrits sur cette histoire en Inde (…) Nisha a aussi été interviewée par des médias britanniques et américains. Elle a publiquement expliqué que son fiancé ne l'aimait pas et ne l'épousait que pour de l'argent, et qu'elle craignait d'être tuée après le mariage. Plusieurs producteurs de films de Bollywood et de télévision ont voulu acheter son histoire et des politiciens de plusieurs partis lui ont proposé de rejoindre leurs rangs. La jeune femme a décliné ces offres et a par la suite épousé un ingénieur en informatique.»
Dans la société indienne avoir une fille est un fardeau ancestral. La société indienne marque une préférence pour la naissance des garçons : héritiers des terres, soutiens de la vieillesse des parents et responsables du bûcher funéraire. N'héritant pas, les filles lors de leur mariage apportent une dot plus ou moins substantielle et le phénomène s'est amplifié comme l'indique le cas extrême de Nisha Sharma. De plus, la pratique de la dote se propage hors de l'hindouisme, chez les chrétiens et les musulmans.
La disparition des filles
Pour éviter d'être victimes de cette tyrannie de la dot, les familles évitent d'avoir des filles. Aux méthodes "traditionnelles" (infanticide, mauvais traitements) s'ajoute depuis 1979 le détournement de l'échographie pour favoriser les naissances de garçons et supprimer les foetus de filles. Ce foeticide a pris une ampleur considérable. Même si échographie + avortement coûtent cher pour la majeure partie des ménages indiens, c'est plus "rentable" que d'avoir à payer une ou plusieurs dots. Un nombre croissant de cliniques privées fait de ce secteur économique l'un des plus florissants du pays.
Le déficit de naissances de filles s'est aggravé avec l'essor de la classe moyenne, particulièrement dans les États du Nord-Ouest : Haryana, Rajashtan, Punjab et à Delhi. Le déficit de filles est fréquemment de 20 à 25 %. Ce foeticide est encore plus pratiqué en Chine, car aggravé par la politique de l'enfant unique depuis 25 ans. Le déséquilibre maximal du sex ratio est constaté dans les provinces de Chine du sud. L'Asie devient ainsi le continent le plus masculin du monde.
La violence sur les femmes
Le gouvernement a interdit la dote comme il a interdit l'esclavage pour dettes à trois reprises depuis l'indépendance. Il a interdit le détournement de l'échographie. Ces mesures étant très peu appliquées, la violence sur les femmes augmente. De plus en plus de violences physiques (femmes vitriolées par exemple), de crimes sur des femmes récalcitrantes (assassinat, viol, enlèvement et prostitution forcée). L'opinion reste encore complaisante devant ces réalités, malgré de récentes campagnes utilisant les différents médias.
À l'horizon 2020, on estime qu'il y aura 30 millions d'Indiens célibataires à la recherche d'une épouse. Dans les régions et les castes les plus aisées, cela entraine déjà un trafic de femmes. Les familles des provinces pauvres vendent leurs filles à des intermédiaires (routiers par exemple) qui les revendent avec un large profit. Cet achat de femmes revient à inverser la pratique de la dot. Mais ces épouses soumises à la marchandisation sont bien souvent victimes de mauvais traitements. Le célibat croissant est aussi un facteur de l'essor de la prostitution, notamment urbaine, avec des filles dont le nombre est estimé à deux millions, et parmi elles, une fraction non négligeable de Népalaises. Officiellement, la polyandrie n'est pas répandue mais des "arrangements" familiaux existent.
L'éducation des filles, l'obtention de diplômes et l'arrivée des jeunes femmes sur le marché du travail, donc la conquête de l'indépendance financière est selon l'auteure la voie principale pour sortir de ces ornières, à condition que les autorités fassent l'effort d'appliquer les lois existantes. À condition aussi que le choix d'un bébé par les biotechnologies ne vienne pas accentuer les dérives actuelles.
Pour en savoir plus :
- Le Monde, daté 9 mars 2007.
- Isabelle Attané, Une Chine sans femmes ?, Perrin, 2005.
- Gilles Pison, Moins de naissances mais un garçon à tout prix : l'avortement des filles en Asie.
"Population et Société", n°404, septembre 2004.
- Un excellent article : Le pays qui ne veut pas de filles, L’Express, 21 août 2003.
• Bénédicte MANIER : Quand les femmes auront disparu…
Éditions La Découverte, 2006, 187 pages.
—————————————————————————