Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Entre le VIe siècle avant notre ère et le VIe siècle après, des marchands romains et grecs ont visité le vaste espace des terres habitées — ou oikouménè — bien au-delà des limites du monde gréco-romain sans nécessairement rendre publiques leurs connaissances de ces mondes lointains, secret commercial oblige. Des savants et érudits tels que Strabon, Pline ou Ptolémée tentèrent de compiler un état du monde connu au-delà du limes de l'Empire. À son tour, Maurice Sartre a voulu nous montrer ce que Grecs et Romains pouvaient savoir des civilisations voisines et des espaces lointains en ajoutant les ressources de l'archéologie à la connaissance des sources anciennes.

 

Dans l'histoire de ce millénaire, les aventures maritimes tiennent une bonne part et justifient le titre de l'ouvrage. Sa composition originale suscite l'intérêt en fondant chacun des quinze chapitres sur la citation inaugurale d'un ou deux documents (extraits de textes anciens ou ressources épigraphiques ). On voyage ainsi à la fin du IVe siècle avant notre ère avec le marseillais Pythéas vers Thulé — sans doute l'Islande —  mais « le seul auteur qui parle de Thulé, c'est Pythéas que tout le monde connaît comme le plus menteur des hommes » affirmait Strabon. On voyage autour de l'Afrique avec les hommes de l'expédition organisée deux siècles plus tôt par le pharaon Néchao, dont le périple reste plus certain que celui du marin carthaginois Hannon.

 

Les relations maritimes les plus considérables de l'empire gréco-romain débouchent sur l'océan Indien. En mer Rouge, les marchands et marins grecs fréquentent les ports des rives éthiopienne (Bérénikè, Ptolémais) et arabe (Leukè Komè au nord, Mokka au sud). L'encens d'Arabie heureuse — l'actuel Yémen — est importé pour les besoins des temples du monde gréco-romain. Avant eux les Égyptiens ont ouvert la route vers l'Azania — la côte orientale de l'Afrique — par exemple à la recherche d'ivoire. Mais la grande affaire est la route des Indes avec la mousson et c'est un rythme annuel qu'il faut concevoir, celui de la mousson. Cent navires romains prenaient la route des Indes chaque année au temps d'Auguste. L'île de Socotora ou Suqutra, la Dioscoridès des Grecs, sert éventuellement d'escale et de refuge, et les ports du sud de l'Arabie comme Syagros sont des points de départ d'expéditions commerciales vers l'Inde, pour atteindre toute une série de ports allant des bouches de l'Indus au Kérala riche en épices. Les Romains établirent d'ailleurs des troupes près de l'actuelle Aden, aux îles Farasan, un poste avancé à mille kilomètres de la frontière de la province d'Égypte. Ayant parcouru lui-même une partie de l'Inde, au IVe siècle avant notre ère, Mégasthène donna à ses contemporains des informations exactes sur l'Inde, notamment la différence entre les Tamouls et les habitants des régions du Gange. D'autres rapportaient seulement les propos des voyageurs, tels Hécatée de Milet, Hérodote d'Halicarnasse ou même Ctésias de Cnide, mais avec « beaucoup de fantaisie ».

 

Bas-relief du tombeau de Marônas, Palmyre

 

Le “bateau de Palmyre” du titre de cet essai est le rapprochement de deux documents venus de cette ville. Un bas-relief ornant le tombeau de Iulius Aurelius Marônas de 236 ap. J.-C., illustré d'une nef ventrue à voile carrée complète une inscription bilingue gravée sur l'agora de Palmyre sous le règne d'Antonin ; celle-ci a été financée par des marchands palmyréens rentrés à bord du navire d'Onainos et honorant un certain Marcus Ulpius Iaraios. Grand carrefour commercial des régions orientales de l'Empire, Palmyre organise des caravanes chamelières jusqu'à l'Euphrate, suivies de la descente fluviale jusqu'au golfe Persique, puis la route des Indes vers Barbarikon ou Barygaza.

 

Deux femmes de l'aristocratie. Gandhara, IIe siècle. Lacma, Los Angeles.

 

Maurice Sartre étudie les contacts des Gréco-romains avec les diverses périphéries de l'empire, notamment l'influence esthétique grecque sur les productions du monde indien, particulièrement l'art du Gandhara, conduisant à un art « gréco-bouddhique » ou « gréco-indien ». Il conteste fermement la notion de « route de la soie » reliant la Méditerranée et la Chine, en raison de la diversité des routes terrestres et maritimes qui existaient, et du nombre des intermédiaires entre les Chinois et les Grecs. De plus les Chinois n'ont jamais cherché à exporter massivement la soie, qui était l'objet de cadeaux d'ambassades auprès de leurs voisins. Ensuite la soie chinoise était troquée contre des marchandises venues de Méditerranée. Bien sûr l'importation de soie coûtait cher à l'empire romain, et ainsi les monnaies d'or et d'argent partaient vers l'Inde. Mais dès le règne de Justinien au VIe siècle, la Syrie est devenue productrice de soie.

 

Le déséquilibre des sources écrites fait qu'il ne saurait y avoir pour cette époque ni histoire globale ni « histoire à parts égales » (contrairement au titre du livre de Romain Bertrand sur les Indes néerlandaises et la V.O.C.). En conclusion, Maurice Sartre rappelle que deux grands esprits du temps,  Hipparque de Rhodes et Sénèque, eurent l'idée de terres lointaines à découvrir, au-delà des terres dont Ptolémée réunirait les coordonnées... Un livre captivant pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire des voyages et du commerce international et ceux que passionnent les contacts entre civilisations.

 

 

Maurice Sartre : Le Bateau de Palmyre. Quand les mondes anciens se rencontraient. VIe siècle av. J.-C. – VIe siècle ap. J.-C. - Éditions Tallandier, Texto, 2022, 381 pages.

 

Tag(s) : #ANTIQUITE ROMAINE, #ANTIQUITE TARDIVE, #MONDE ARABE, #MONDE INDIEN
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :