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Quand l'autobiographie sert de prétexte pour une captivante plongée plus culturelle que mémorielle.

L'illustration (même dans l'édition de poche d'octobre 2006) est passionnante. Je vous en montrerai quelques exemples…

Umberto ECO a écrit ce livre jubilatoire centré sur un personnage d'environ 60 ans qui redécouvre son enfance en même temps que son milieu familial et professionnel. L'intérêt majeur est la plongée dans la culture populaire du premier vingtième siècle.

Le travail est donc habillé en histoire personnelle : cette autobiographie malicieuse commence par une sortie de coma. Yambo (diminutif de Gian Battista) a eu un accident cardiaque. Au réveil, il est en plein brouillard; il a perdu une partie de sa mémoire, celle qui concerne sa vie personnelle mais il a gardé la mémoire cognitive. Il a en tête une vraie bibliothèque qui le rend capable de citer de multiples ouvrages littéraires.


Son métier ? Vendre des livres anciens et il sait tout des vieilles éditions les plus rares. Il nous apprend comment trouver pour pas cher des merveilles cachées dans les lots de livres dont les veuves éplorées ou les héritiers incultes et rapaces se défont dans l'urgence.

L'édition originale des œuvres complètes de Shakespeare en 1623 joue un rôle important – mais je n'en dirai rien : vous aussi vous serez dans le brouillard.

Priscilla, son employée, fait tourner la boutique et prépare le nouveau catalogue pendant que Yambo, sur le conseil de sa femme Paola, est allé passer quelques semaines de convalescence loin des brouillards de Milan, dans la vaste maison de campagne, patrimoine de sa famille.

Enfant et adolescent, il y a vécu des années, avant et pendant la guerre, au temps du fascisme, avant de revenir à Milan avec ses parents en 1945 et là, au lycée devenir amoureux de la belle Lila Saba.

Que de merveilles à découvrir dans cette maison de famille. Une formidable chasse au trésor.

Ce procédé permet à Umberto ECO de nous faire découvrir de multiples aspects de la culture populaire, de la paralittérature, de l'histoire de l'Italie au temps du fascisme, etc. Tout y passe. D'une vieille encyclopédie s'exhume une étonnante page sur les tortures :

 
 




 

 

 
Alors que le régime mussolinien censure les médias, la petite souris de Walt Disney reste libre d'enquêter !
Mais l'illustre Souris est détrônée par la Reine qui donne son nom au livre. Dans ses recherches entre deux comas, le narrateur tombe sur :



Dans les salons déserts, dans le bureau désert, dans le grenier immense de Solara, d'autres découvertes surviennent. D'antiques flacons de parfum. Des jouets aussi. Et puis la collection de timbres faisait voyager dans cette époque d'avant la télé.  Des noms magiques étaient découverts : Fidji, Nouvelle Guinée, Bijawar, Brunéi, etc. Yambo retrouve aussi le plaisir d'écouter les 78 tours, d'allumer une radio "Telefunken" désormais muette, et de feuilleter des magazines de l'entre-deux-guerres où les figures féminines sont plus aguichantes :


Le grand-père de Yambo avait sans doute savouré ces images "art déco". Des lustres plus tard, elles permettent au petit-fils de trouver quelles images avaient pu éveiller ses sens et faire de Lila Saba le modèle annonciateur de Sibilla Jasnorzewska.


La description vivante de l'Italie fasciste que nous donne Umberto Eco fait la part belle aux affiches de propagande et aux chansons guerrières (Giovinezza, Vincere…). Il rappelle avec un malin plaisir les contradictions entre l'actualité des bédés de 1942 ou 1943 et la véritable situation militaire du pays. Héroïsme d'un côté. Retraite et défaite de l'autre.

 

La fin du fascisme se fait en deux temps. D'abord Mussolini est renversé et arrêté à l'été 1943, quand les Alliés prennent pied en Italie du sud. Mais Hitler expédie des troupes en Italie du nord et délivre le Duce, ainsi s'installe, sous tutelle de la Wehrmacht, la République de Salo (que mais élèves écrivaient souvent "salaud", vous vous en doutiez). Le brav'général Badoglio forme donc un gouvernement provisoire qui demande l'armistice en septembre 1943. Mais ce n'est que le premier acte.


 

Dans la République de Salo sévissent en effet les Brigades Noires qui prétendent combattre pour l'honneur de l'Italie.

C'est dans ce contexte que se place un épisode dramatique de la résistance auquel participe Yambo, promu à dix ans guide nocturne d'un groupe de cosaques et de patriotes pourchassés par les Allemands et les collabos.

Les Alliés bombardent. Les Alliés arrivent. Les patriotes pendent le Duce et sa maîtresse Clara Petacci sur une place de Milan. Le narrateur qui maintenant se souvient de tout, même des libérateurs invités à la maison, d'un officier américain noir et parlant français (donc très classe!) aimant le champeign'; pas du tout le singe barbare que la propagande avait annoncé.

L'après-guerre ? Avec les G.I's arrivent la démocratie, les partis politiques et leurs journaux, le chewing-gum et le roman-photo. Justement, ces romans-photos de l'immédiat après-guerre vont pervertir notre Yambo. Tandis que son cousin devient un "zazou" et danse le "boogie woogie", Yambo découvre Joséphine Baker nue. Le choc de la photo l'expédie au confessionnal. La nudité… Un curé qui roule à vélomoteur lui conseille de lire "L'Homme fini" de Giovanni Papini. Yambo se replonge dans la culture cultivée. Ainsi Yambo va «Faire de sa furia bibliomaniaque [la] possibilité d'une fuite non conventuelle du monde.» Voilà Des Esseintes et «il rêve d'une thébaïde raffinée » ce qu'Umberto Eco illustre par "l'Apparition " de Gustave Moreau.



En attendant l'apparition de Lila Saba en haut de l'escalier du lycée! Mais, comme dans "Cyrano de Bergerac", la Belle regarde ailleurs... «Il s'appelait Vanni… Un jour il est venu en Vespa.» Un truc de "garçon pourri-gâté", comme dit son père.

La fin de l'Histoire ? Pour ne pas trop dévoiler, disons simplement que pour Yambo (plongé dans le coma dans toute la troisième partie) se déroule une très grande parade, quelque part entre guerre des étoiles, revue de music-hall et Jugement Dernier, une folle farandole orchestrée par un génie fellinien, à laquelle participent tous les personnages réels et fictifs, Lila Saba au visage qui reste dans le brouillard, la reine Loana et sa lanterne magique, Mandrake et des dizaines d'autres !


                                  THE END.

• À lire du même Umberto Eco, le roman historique Baudolino

• Umberto ECO : La mystérieuse flamme de la reine Loana
Traduit par J.N. Schifano. Livre de poche, 2006


 
Tag(s) : #LITTERATURE ITALIENNE
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