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La diversité ? — C'est le pied, dites-vous, au moins on ne s'ennuiera plus…! Eh bien, vous allez peut-être revoir votre jugement. Professeur d'anglais à l'Université de l'Illinois à Chicago, Walter Benn Michaels se fait fort de vous démontrer que la diversité est un piège, un concept politique à la mode mais dangereux, car il écrase — comme on le dit des données dans un programme informatique — quelque chose de plus important : la lutte contre les inégalités économiques croissantes.

Il continue en vous affirmant que le multiculturalisme est un leurre : où est la diversité culturelle chez ses étudiants (Blancs, Noirs, Asiatiques, Hispaniques…) quand ils parlent tous anglais, s'habillent tous pareils, et écoutent les mêmes musiques ? La diversité culturelle a bon dos : c'est juste une manière hypocrite d'éviter d'avoir à parler de "races" ou de "minorités" (visibles c'est-à-dire de couleur), dès lors que "race" est un gros mot et que l'antiracisme est devenu une politesse partagée sur tous les campus. Il déconstruit aussi la "discrimination positive" qui n'a selon lui qu'un avantage : permettre aux étudiants riches inscrits dans les universités les plus cotées, c'est-à-dire horriblement chères, de trouver dans leurs salles de cours quelques agréables congénères de couleur, en oubliant que s'ils ont été admis dans la Ivy League c'est principalement grâce à un super score au SAT (scholastic aptitude test) que seuls les étudiants bien préparés et donc issus de familles riches ont pu obtenir.

Il est comme ça W. B., il vous explique le principe de l'Amérique nouvelle : « faire payer aux gens beaucoup d'argent devenait un moyen pratique de préserver la hiérarchie raciale de la vie américaine.» Il pioche même des arguments dans "le supermarché des riches", un vieil épisode des Simpsons, qu'il oppose au Wal-Mart des pauvres. Il vous analyse comme pas un l'oubli de l'origine du "Labor Day" réduit à la date de la rentrée, alors que Washington multiplie les "Mois de l'Héritage des Uns" et les "Semaines de Célébration des Autres" qui permettent à la "upper middle class" de louer la diversité d'un bout de l'année à l'autre. Car la diversité est  devenue la meilleure amie du néo-libéralisme qui a conquis aussi bien la gauche que la droite avant la crise des "subprimes".

Aujourd'hui toute Entreprise digne de ce nom doit « s'engager pour la diversité » : l'auteur prend des accents voltairiens pour en décrire les résultats. « S'excuser pour des actes qu'on n'a pas commis soi-même auprès de gens à qui on ne les a pas fait subir relève d'une industrie en plein essor.» C'est pourtant très tendance, et les banquiers font ainsi appel à la History Association ou à la History Factory qui leur facturent des milliers d'heures de recherches dans les archives pour  qu'ils puissent proclamer haut et fort qu'ils sont désolés du passé négrier d'une filiale rachetée il y a des décennies et dont les fondateurs avaient acquis deux ou trois esclaves vers 1850...

Et puisque les États-Unis sont imités par la France vingt ans plus tard, c'est sur ce constat des ravages que le culte de la Diversité commence à y provoquer qu'il ouvre son essai décapant jusqu'au dernier chapitre. Alors, dans un "Witz" final, l'auteur apparaît lui-même, non comme un pauvre dont il faut respecter la pauvreté plutôt que l'aider à en sortir, mais comme un privilégié de la "upper class", faite des 3% d'Américains les plus riches — mais diversement riches bien sûr. Voilà donc un homme de progrès Made in USA dont on ne manquera pas de lire l'essai tonique et provocateur, riche d'exemples littéraires et de filons statistiques à exploiter !

Comme de bien entendu, ce pamphlet rapide — dont l'auteur n'enseigne pas plus l'économie, que la science politique ou la philosophie —  provoque la colère et l'indignation de ceux qui le trouvent simpliste puis qu'il ne s'appuie ni sur des traités à la mode dans certains cercles, ni sur la promotion des divas des "luttes minoritaires". Au contraire, Jean-Claude Michéa le qualifie de "petit livre stimulant" dans son Complexe d'Orphée (page 176).


• Walter Benn MICHAELS : La diversité contre l'égalité
Traduit de l'américain par Frédéric Junqua. Raisons d'agir éditions, 2009, 155 pages.
 
Tag(s) : #SCIENCES SOCIALES
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