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Dans la foulée de Mai-68, des étudiants d'extrême-gauche, des “gauchistes” comme on disait, ont choisi de se rapprocher du monde ouvrier pour l'éveiller aux luttes contre l'exploitation capitaliste — ignorant superbement la CGT. Pour ce faire, aller travailler en usine était le moyen rêvé. Ainsi est né le mouvement des « établis ». Après de solides études, Robert Linhart, militant de l'Union des Étudiants Communistes puis de la Gauche Prolétarienne, s'est donc fait embaucher chez Citroën. Âgé de vingt-quatre ans, prétendant ne même pas avoir le BEPC, vierge de toute expérience ouvrière, il se retrouve en septembre 1968 pointer à l'usine de la Porte de Choisy qui fabriquait des 2 CV. Ainsi commence ce roman autobiographique.

 

Devant son incompétence persistante, les petits chefs d'atelier le baladent d'un poste à un autre jusqu'à son licenciement à la fin du mois de juillet. On l'a mis à la soudure des carrosseries, au façonnage des sièges, à de la manutention, à un service de pièces détachées, puis encore à de la manutention — ces deux derniers postes étant vécus par l'Établi comme des sanctions pour son rôle-clé dans une grève qui nous est contée en détail.

 

La direction ayant voulu faire “récupérer” une avance sur salaire due aux événements du printemps 68, c'est-à-dire travailler au-delà de la sortie d'usine de 17 heures, l'Établi a réussi à organiser une grève partielle qui a tenu presque deux semaines, un certain nombre d'ouvriers quittant leur poste à 17 heures, ce qui oblige la chaîne de montage à stopper. Mais c'est une sorte de victoire à la Pyrrhus, car l'encadrement et le syndicat maison préparent leur revanche.

 

Outre l'agitation qu'il a réussi à créer — au détriment d'un certain nombre d'ouvriers qui ont ensuite été poussés à la démission—, l'auteur réussit pleinement une chose : nous montrer les abominables conditions de travail et les épouvantables relations entre les petits chefs et le personnel ouvrier, constitué pour une grande part d'immigrés victimes de leur racisme.

 

« L'Établi », ultime chapitre de ce livre au titre parfaitement ambigu, montre une scène digne d'un film de Tati. En marge de la chaîne de soudure, un ouvrier très expérimenté fait office de retoucheur pour des portières mal usinées. Il s'est bricolé un établi ad hoc mais hors normes qui lui permet de résoudre les malfaçons en un tour de main. Or, sans prévenir, le bureau des méthodes lui impose un outil plus moderne mais totalement inadapté... Et les cadres de se moquer bêtement de son désarroi...

 

Ce livre-témoignage est devenu un document célèbre de la critique du travail industriel à l'époque des Trente Glorieuses. Le sociologue y apporte une démonstration caricaturale mais efficace de la lutte des classes dans une usine désuète, mal équipée et sans souci de la sécurité au travail. D'ailleurs cette usine fermera peu après, conformément à la tendance de long terme qui poussait les établissements industriels hors de Paris.

 

Curieusement, l'auteur n'explique ni d'où il vient avant cette aventure ni ce qu'il advient de lui après le 31 juillet 1969. Ce livre est comme une tranche de vie hors contexte et en même temps une parabole où la fabrication d'un objet divise les hommes plus qu'il ne les rassemble.

 

 

Robert Linhart : L'Établi. Éditions de Minuit, 1978, réédition en collection “double”, oct. 2021, 186 pages. Cet ouvrage a inspiré au réalisateur Mathias Gokalp un film qui sort sur les écrans en avril 2023.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #SCIENCES SOCIALES
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