Présidente et vice-présidente de "Paroles de femmes", Olivia Cattan et Isabelle Lévy considèrent l'influence négative des trois religions révélées sur la place des femmes dans la société française. Elles espèrent faire réagir le pouvoir politique afin que l'Etat "surveille" les pratiques religieuses et fasse évoluer les institutions qui bafouent les "droits de la femme". Leur démarche comparative s'appuie sur des passages des textes sacrés illustratifs du statut de dominée imposé aux femmes dans les trois monothéismes. Un sérieux travail d'enquête leur permet de produire de nombreux témoignages probants. Depuis le péché originel, fondement des trois religions, la nudité engendre la honte. La pudeur s'impose à Ève tentatrice : le corps féminin doit être couvert afin de ne pas éveiller le désir masculin. Les auteures révèlent que des traductions erronées, des interprétations à contre-sens de certains passages des trois Livres sacrés ont permis aux religieux, par peur et par méfiance de la femme, d'orchestrer son assujettissement, dont on ne trouve pas trace dans la Parole divine.
O. Cattan et I. Lévy ont raison sur ce point; mais leur thèse et leur argumentaire demeurent fragiles et leur ouvrage n'est pas à la hauteur des actions de leur association. Leurs propos ne s'élèvent guère au-dessus de l'émotionnel subjectif, de l'expression d'indignations naïves et de péremptoires injonctions. Ce côté "donneuses d'ordres", pourfendeuses de torts, est sympathique car il prouve la force de leur conviction, idéaliste mais sincère; toutefois, à la longue, il devient irritant.
La religion ne saurait rendre compte, à elle seule, du nombre croissant de femmes battues, violentées, mutilées en France aujourd'hui. L'alcoolisme, le chômage, la pauvreté, entre autres, y ont, hélas, aussi leur part. On ne peut négliger non plus le poids de l'éducation familiale des filles, celui de la tradition tribale et clanique, bien antérieure aux textes sacrés et souvent plus prégnante — Germaine Tillion l'a longuement démontré à propos de l'excision des fillettes ou de l'endogamie. Ce conditionnement de l'esprit des jeunes filles constitue un sérieux contre-poids au discours des deux auteures féministes. Par ailleurs, en quoi les "droits de la femme" se distinguent-ils des "droits de l'homme", ceux de tout être humain au respect de sa vie et de sa dignité? De même, Olivia Cattan et Isabelle Lévy portent la liberté en étendard sans beaucoup chercher le sens que prend ce mot — s'il en a un —, dans les différentes situations socio-familiales des femmes. Accumuler des témoignages ne suffit pas. Prétendre que l'éducation les émancipe du joug religieux relève du jugement hâtif : bien des diplômées sont des croyantes heureuses. Les auteures ne sont pas sans savoir que l'on n'impose pas l'émancipation par décret : elle doit répondre à un désir, une motivation antérieure des femmes : elles ne dépend que d'elles.
Il est un peu facile d'ériger les trois monothéismes en boucs émissaires de l'infériorité dont les femmes sont victimes. Et plutôt que de réclamer encore de nouvelles lois et d'exiger que l'Etat devienne le censeur des pratiques religieuses, mieux vaut privilégier le dialogue au cas par cas, favoriser l'ouverture des esprits à la compréhension des valeurs d'autrui, pour améliorer la considération des femmes. C'est d'ailleurs une des actions de "Paroles de femmes" auprès des personnels hospitaliers, enseignants, des entreprises et des administrations, afin de réduire les conflits qu'ils connaissent avec des femmes venues d'autres cultures.
On ne peut nier l'engagement enthousiaste et candide des deux auteures, convaincues que les valeurs occidentales sont universelles et que les lois transformeront les pratiques. Utopie hélas! Plutôt que le combat pour les "droits des femmes", la vraie raison d'agir ne consisterait-elle pas à faire accepter, à l'homme comme à la femme, l'idée du respect d'autrui, et donc d'abord du respect de soi-même?
Olivia Cattan et Isabelle Lévy
La femme, la République et le bon Dieu
Presses de la Renaissance, 2008, 264 pages.