L'action se passe presque entièrement dans le plus grand bordel de Tunis, tenu par El Annabiya, la Bônoise, pour qui jadis Hadj Kayenne a tué. Ce qui lui a valu de passer dix-huit ans au bagne — d'où son surnom. De leur génération, il y a aussi Hammoud Judoka, souteneur et barman, que l'on a mis à la porte avant d'organiser la fête pour les "noces de mulet" d'El Annabiya avec Khatem, lejeune et séduisant proxénète qui pourrait bien n'être qu'un sombre arriviste sans scrupule.
✺ Au fil des jours, et des nuits, l'établissement d'El Annabiya, respectable et qui paye ses impôts, voit affluer les clients qui souvent, trop souvent, demandent les services de la belle Hayat En-Noufous. Rien à voir avec l'établissement concurrent où un soir débarque Hammoud «un bordel délabré, tenu par des prostituées décaties (…) Outrageusement maquillées, affublées de perruques, elles ont la cigarette à la bouche comme pour se réchauffer, alors que l'atmosphère est étouffante.» Chez El Annabiya, la bière coule à flot, la musique arabe s'écoute en permanence, et les filles chantent des romances. Bref la vie dans le péché, ce qu'un jeune émule de la Zitouna ne peut tolérer — « Dans ma chambre, vite ! ordonne El Annabiya. Je vais lui faire voir son Paradis.»
✺ De tous les personnages du roman, Hadj Kayenne est le plus complet, à la fois par la connaissance qu'on a de sa vie passée et présente. Le seul a bénéficier d'une réelle épaisseur psychologique. On le voit se retirer au cimetière pour goûter au haschich et attendre des rêves où l'histoire lui donne à voir de grands personnages de l'histoire antique et de la civilisation musulmane comme le poète Abou Tayeb El Moutannabi pour ne prendre qu'un exemple. Même si les autres personnages sont plus rapidement esquissés, cela ferait un magnifique scénario. Mais le but de l'auteur a sans doute été autre.
✺ Tahar Ouettar est né en 1936 dans l'Est de l'Algérie et après ses études à la Zitouna de Tunis il est devenu un écrivain algérien réputé, n'écrivant qu'en langue arabe. Son roman « Noces de mulet » a été achevé en 1975, édité à Beyrouth en 1980, et la traduction française en a été publiée en 1984. Ouvrage épuisé que l'on peut lire ici. Autrement dit, si allégorie il y a — ce qui paraît irréfutable — elle renvoie à une situation très nettement antérieure à 1975 d'autant que le bagne de Guyane a été fermé en 1946. Aussi serait-il tentant de voir dans l'unité de lieu du récit, l'Algérie convoitée par plusieurs leaders politiques aux idéaux diablement divergents. Et de fait, l'histoire du FLN, de ses origines à l'exercice du pouvoir, n'est pas un long fleuve tranquille. Tahar Ouettar est décédé en août 2010.
• Tahar OUETTAR : Noces de mulet
Traduit de l'arabe par Marcel Bois et Boualam Kichoud
Messidor - Temps Actuels, 1984, 168 pages.