C'est le déluge ! c'est la cata ! La catastrophe est à la mode avec le philosophe Paul Virilio comme avec le plasticien allemand Anselm Kiefer. L'historien genevois François Walter ne cite ni l'un ni l'autre, mais son récent livre « Catastrophes. Une histoire culturelle, XVIe - XXIe siècle » est un inventaire difficilement contournable fondé sur un impressionnant corpus de catastrophes, drames, horreurs, et fléaux, risques réels et supposés, dangers, désastres et accidents et leur prolongement dans les arts. Leur interprétation "culturelle" est assez largement fondée sur les travaux d'origine germanique depuis les pasteurs du XVIe siècle jusqu'au sociologue Ulrich Beck pour le concept de société du risque et au philosophe Hans Jonas. Cette ouverture historiographique est particulièrement utile au lecteur français qui a, dit-on, tendance à ignorer la recherche d'Outre-Rhin.
Justement, cette orientation bibliographique marquée se justifie-t-elle par le "Sonderweg" de l'histoire allemande, d'une Guerre de Trente Ans à l'autre (1914-1945) ? La question mérite d'être posée lorsque l'on fait appel, de manière passionnante, à l'histoire de la peinture et de la littérature de l'époque classique (§ III. La Mise en images), comme de l'époque contemporaine (§ VII.2 - la guerre de l'art, et § VIII-2. le siècle de la guerre et du nucléaire) : les artistes allemands paraissaient plus inspirés que d'autres par la catastrophe devenue spectacle. L'entrée en politique de la "Klimakatastrophe" (p.299) — là où d'autres disent "changement climatique" — accentue encore l'emphase germanique sur ce sujet. Il aurait donc fallu à mon sens se pencher davantage sur ce point, pour une édition française, même si la catastrophe n'épargne et n'épargnera pas le reste du monde : on le voit bien avec la chronologie fournie (pp. 343-347).
Un autre intérêt propre à cet ouvrage — et qui n'est pas sans pousser à la controverse — réside dans un certain retour du sacré. Dans sa conclusion, François Walter affirme que « Contrairement à la doxa des intellectuels et des éditorialistes, l'histoire du catastrophisme nous a appris à remettre en cause ce qu'on pourrait appeler le Diktat wébérien du désenchantement.» La sécularisation de la catastrophe à partir des Lumières n'aurait été qu'un mythe de la modernité. Avant les Lumières, les Eglises expliquaient que les catastrophes étaient une punition divine de l'homme pécheur, ou une admonestation providentielle pour qu'il se reprenne. Avec l'idée de progrès c'est la nature qui est devenue l'origine principale de la catastrophe. Ce changement d'interprétation n'a pas duré : avec la révolution des transports, l'industrialisation, la croissance démographique, l'entassement humain sur le littoral, la chimisation de la vie quotidienne, sans compter les armes modernes, c'est l'homme qui est l'artisan de la catastrophe et la fin du monde des romans et films de science-fiction devient plausible. Aujourd'hui finalement la pensée magique reviendrait donc en force (new age, sectes millénaristes) face au déluge des expertises alarmistes, et parallèlement à une sorte de divinisation de la planète où l'homme serait de trop.
La composition de cet ouvrage extrêmement ambitieux peut donner à certains lecteurs une impression de saupoudrage car elle ne se fonde jamais sur des études approfondies de cas exemplaires : l'une des plus fournies donne trois pages pour l'éruption de la Montagne Pelée en 1902, contre quelques lignes pour Tchernobyl, ou pour la "shoah". Reprenant une interrogation de Jean-Pierre Dupuy, la mention de cette "catastrophe" (c'est le sens du mot hébreu "shoah") se limite à se demander si le vocable est « approprié à désigner une catastrophe issue de la barbarie des hommes » alors que ce terme renvoie dans la Bible à des choses naturelles. Là est l'origine du malaise qui est susceptible de s'emparer du lecteur ballotté entre le crime politique, les risques naturels et les risques technologiques en passant par de simples "faits divers" comme « l'histoire d'un éléphant fou que l'on dut abattre à coups de canons dans les rues de Genève » au début du XIXe siècle (page 152).
François WALTER
Catastrophes. Une histoire culturelle (XVI-XXIe siècle)
Seuil, L'Univers Historique, 380 pages, 2008.
Justement, cette orientation bibliographique marquée se justifie-t-elle par le "Sonderweg" de l'histoire allemande, d'une Guerre de Trente Ans à l'autre (1914-1945) ? La question mérite d'être posée lorsque l'on fait appel, de manière passionnante, à l'histoire de la peinture et de la littérature de l'époque classique (§ III. La Mise en images), comme de l'époque contemporaine (§ VII.2 - la guerre de l'art, et § VIII-2. le siècle de la guerre et du nucléaire) : les artistes allemands paraissaient plus inspirés que d'autres par la catastrophe devenue spectacle. L'entrée en politique de la "Klimakatastrophe" (p.299) — là où d'autres disent "changement climatique" — accentue encore l'emphase germanique sur ce sujet. Il aurait donc fallu à mon sens se pencher davantage sur ce point, pour une édition française, même si la catastrophe n'épargne et n'épargnera pas le reste du monde : on le voit bien avec la chronologie fournie (pp. 343-347).
Un autre intérêt propre à cet ouvrage — et qui n'est pas sans pousser à la controverse — réside dans un certain retour du sacré. Dans sa conclusion, François Walter affirme que « Contrairement à la doxa des intellectuels et des éditorialistes, l'histoire du catastrophisme nous a appris à remettre en cause ce qu'on pourrait appeler le Diktat wébérien du désenchantement.» La sécularisation de la catastrophe à partir des Lumières n'aurait été qu'un mythe de la modernité. Avant les Lumières, les Eglises expliquaient que les catastrophes étaient une punition divine de l'homme pécheur, ou une admonestation providentielle pour qu'il se reprenne. Avec l'idée de progrès c'est la nature qui est devenue l'origine principale de la catastrophe. Ce changement d'interprétation n'a pas duré : avec la révolution des transports, l'industrialisation, la croissance démographique, l'entassement humain sur le littoral, la chimisation de la vie quotidienne, sans compter les armes modernes, c'est l'homme qui est l'artisan de la catastrophe et la fin du monde des romans et films de science-fiction devient plausible. Aujourd'hui finalement la pensée magique reviendrait donc en force (new age, sectes millénaristes) face au déluge des expertises alarmistes, et parallèlement à une sorte de divinisation de la planète où l'homme serait de trop.
La composition de cet ouvrage extrêmement ambitieux peut donner à certains lecteurs une impression de saupoudrage car elle ne se fonde jamais sur des études approfondies de cas exemplaires : l'une des plus fournies donne trois pages pour l'éruption de la Montagne Pelée en 1902, contre quelques lignes pour Tchernobyl, ou pour la "shoah". Reprenant une interrogation de Jean-Pierre Dupuy, la mention de cette "catastrophe" (c'est le sens du mot hébreu "shoah") se limite à se demander si le vocable est « approprié à désigner une catastrophe issue de la barbarie des hommes » alors que ce terme renvoie dans la Bible à des choses naturelles. Là est l'origine du malaise qui est susceptible de s'emparer du lecteur ballotté entre le crime politique, les risques naturels et les risques technologiques en passant par de simples "faits divers" comme « l'histoire d'un éléphant fou que l'on dut abattre à coups de canons dans les rues de Genève » au début du XIXe siècle (page 152).
François WALTER
Catastrophes. Une histoire culturelle (XVI-XXIe siècle)
Seuil, L'Univers Historique, 380 pages, 2008.