La pauliste Patrícia Melo a publié en 2006 avec « Monde Perdu » la suite très réussie de son premier roman qui fit sensation au Brésil en 1995, «0 Matador», histoire d'un tueur, Máiquel, "comme Máiquel Jackson, l'artiste", dont un film a été tiré.
O Matador
Comment devient-on un tueur professionnel ? Dans le cas de Máiquel, 22 ans au début du récit, ça commence par un pari perdu et le voilà teint en blond. Les aventures et les meurtres s'enchaînent. Le dentiste Carvalho y est aussi pour quelque chose : il s'occupe gratis des caries de Máiquel en contre-partie de l'élimination du violeur de sa fille. Tout le quartier des classes moyennes applaudit quand Máiquel élimine des violeurs, des malfrats divers, des voleurs de téléviseurs et de radiocassettes qu'ils revendent pour s'acheter de la drogue. Avec Santana, un commissaire ripoux, Máiquel fonde Alpha Services, une entreprise de sécurité, en fait une officine de racket et d'assassinat sur commande. L'affaire prospère. Mais un jour, Máiquel, choisit une mauvaise cible et c'est la fin de son entreprise, la prison puis le début d'une cavale qui se poursuit dix ans plus tard avec "Monde Perdu".
Ce premier roman nous explique comment Máiquel a fait la connaissance de Cledir et d' Erica. Cledir était vendeuse dans un grand magasin, Máiquel l'a épousée et en a eu une fille, Samanta. Erica c'était la petite amie d'Ezequiel : la première victime de Máiquel dont le tort avait été de rire de la chevelure décolorée de Máiquel, devant ses copains, Robinson et Marco, dans le bar de Gonzague, le rendez-vous habituel des potes. Erica s'est imposée auprès de Máiquel mais elle devient jalouse de Cledir et elle demande à Máiquel de la tuer. Mais Erica n'est pas seulement une garce séduisante avec et sans sa robe rouge, elle a aussi parfois une conscience ; elle se confesse auprès de Marlênio, un pasteur évangéliste ambitieux, qui apprécie tout autant de fréquenter Erica dans sa piscine, que de l'employer comme bénévole dans son église. Erica choisit finalement de kidnapper Samanta et de partir avec Marlênio, dont le témoignage achève d'édifier la police.
Ces éléments facilitent la lecture du volume suivant où le passé du tueur et de ses ex-compagnes revient de manière nécessaire mais parfois allusive au milieu de zones d'ombres.
Monde Perdu
Máiquel est en cavale dans tout ce second roman. Revenu à São Paulo en raison du décès de sa tante, il consacre l'argent dont il a hérité à rechercher sa propre fille. Il paie les services de détectives pour la retrouver et, prétend-il, seulement pour récupérer Samanta bientôt adolescente. Il rêve aussi de reprendre Erica et de se débarrasser de Marlênio.
La cavale transforme le roman en "road movie" à la brésilienne, et n'évitant que le Nordeste. Loin des sambas, on parcourt les villes du Centre-Ouest et des fronts pionniers amazoniens. Grâce aux services des détectives, Máiquel retrouve la piste d'Erica à Campo Grande, capitale du soja au Mato Grosso du Sud, où elle est devenue "évêquesse" faisant fortune sur le dos des pauvres qui fréquentent son temple où Marlênio officie. De voiture en camion et de bateau en avionette, l'itinéraire de Máiquel s'écarte des étapes touristiques les plus connues. Il croise des trafiquants de drogue, des paysans sans terre, des femmes fatales au sens propre comme au figuré. Silvia qui dévalise le tueur pour s'acheter une arme et tuer son père — « Dire que j'ai couché avec cette femme…» ou Eunice qui participe au début de l'aventure ; une originale qui lit tout ce qui est écrit le long des routes. Jusqu'au moment où elle s'aperçoit qu'il est réellement un tueur recherché par la police fédérale, tandis que TIGRE, un pauvre bâtard de cabot est la source de diverses complications qui prouvent l'esprit tortueux du narrateur et son respect de la vie des animaux plus que des hommes.
Les traditions populaires (quasi absentes du premier volume) se découvrent sur le bric-à-brac des marchés aux herbes où les amoureuses recherchent des philtres magiques. Comme la forêt grignotée par les fronts pionniers, la société est peu à peu conquise par les sectes évangéliques. Au-dessus de Marlênio et d'Erica, une sorte d'archevêque, Otavio Freitas, possède une douzaine de temples dont le summum est le "Jésus Rassemble Son Troupeau dans le Jardin Fleuri de la Libération" : ce supermarché de la religion est d'ailleurs qualifié de "Wal-Mart de Dieu" par le narrateur. À travers lui, Patricia Melo dénonce leur message simpliste, l'enrichissement sur le dos des foules crédules persuadées que tout peut être pardonné, comme une ardoise qu'on efface. Même les crimes ?
La recherche de Samanta se transforme progressivement en opération anti-Marlênio. Elle permet de rencontrer la société brésilienne dans sa diversité. Le thème de la violence est commun aux deux volumes dont Máiquel est l'unique narrateur. L'écriture est donc la même, fougueuse, rapide, violente et captivante. Plus qu'à d'autres auteurs brésiliens, ces deux romans m'incitent à faire un rapprochement : avec Horacio Castellanos Moya.
• Patricia MELO
— O Matador
traduit du portugais par Cécile Tricoire
1995 - Éditions Albin Michel, 1996, 296 pages – réédition « J’ai lu » n°5361- 1999.
— Monde Perdu
traduit du portugais par Sébastien Roy
2006 - Éditions Actes Sud, 2008, 206 pages.
La 4è de couverture de Monde Perdu "oublie" de mentionner que c'est la suite d'O Matador – paru chez un autre éditeur.