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Les choses telles qu'elles sont : ce sous-titre du roman de William Godwin exprime assez clairement son intention réaliste et de critique sociale radicale puisqu'un assassin échappe à la justice à cause de sa position sociale et de sa détermination. Ce roman d'aventures initialement publié en 1794 et aussitôt traduit en français n'est pas qu'une critique sociale. C'est aussi un roman noir, et un ancêtre du polar.

 

 

À peine entré au service de l'aristocrate britannique Ferdinando Falkland, son jeune secrétaire Caleb Williams apprend de l'intendant Collins le passé flatteur de son employeur. De retour d'Italie, Falkland n'est-il pas devenu dans son comté l'incarnation du bien, lui qui éteint l'incendie d'un village et sauve Emilie des flammes ? Plus tard toutefois, Falkland ne put empêcher le sort tragique d'Emilie, la cousine de l'horrible Barnabas Tyrrel, l'autre notable du comté, qui avait toute l'opinion locale contre lui. Les deux hommes se détestaient avec application. Après une altercation provoquée par Tyrrel en état d'ébriété, celui-ci fut retrouvé assassiné. Un jury blanchit Falkland et les fermiers Hawkins père et fils furent envoyés à la potence. Mais Caleb Williams serait par la suite témoin des bizarreries du comportement de son maître au point de venir à douter de sa culpabilité. N'aurait-il pas trois morts sur la conscience ? Désormais la vie de Caleb Williams consiste à tenter d'échapper à ce maître qui lui a confessé son crime contre l'obligation de se taire et de rester à son service. Falkland va préserver par tous les moyens son auréole flatteuse. Quand Caleb s'enfuit du château, puis de la prison où la dénonciation mensongère du maître l'a conduit, la vie du jeune secrétaire n'est plus que celle d'un homme pourchassé par l'esprit de vengeance d'un maître tout-puissant. Jusqu'à quand l'innocence sera-t-elle victime du mensonge et de l'arbitraire ?

 

En cette époque où le roman noir était à la mode — la fille de Godwin, c'est Mary Shelley, l'auteur de "Frankenstein" — la noirceur pouvait se rencontrer dans les cimetières, les ruines, les oubliettes ou les chapelles des châteaux hantés des "romans gothiques". Les landes, les nuits sans lune, il y a de quoi frissonner en suivant Caleb Williams. Le narrateur rencontre la noirceur dans l'âme de Falkland, comme au fond des sinistres prisons anglaises (dénoncées au chapitre XXIII). À peine en est-il évadé que des voleurs l'agressent, le blessent et puis… le recueillent — car la morale des marginaux l'emporte sur celle d'un aristocrate corrompu par l'ambition. Réfugiés dans des ruines au fond d'une forêt sinistre, ces bandits sont nourris par une vieille femme qui passe pour sorcière aux yeux des paysans de la région, et leurs orgies bruyantes pour un carnaval de démons. Pour échapper à ses poursuivants, le fugitif change d'apparences, le voici en mendiant, en juif, en bossu. Mais, romantisme oblige, la noirceur est davantage encore psychologique : les âmes noires des landlords, mais aussi de ce Gines, expulsé du gang du capitaine Raymond, qui pour assouvir sa vengeance passe du rôle de bandit au rôle de flic, ou encore de ce fermier grossier qui kidnappe Emilie et tente de la violer avec l'assentiment de l'infâme Tyrrel.
 

Ce roman d'aventures est bien un ancêtre du polar contemporain. La machination mise au point par Falkland est redoutable : Caleb devenu un secrétaire trop curieux des secrets et des agissements de son maître se retrouve accusé par lui de lui avoir dérobé beaucoup d'argent et de bijoux. De quoi se retrouver en prison alors que l'assassin reste en liberté puisque la police et la justice sont trompées. Sa fuite hors de Grande Bretagne est impossible : chasseurs de primes, les "privés" tout de noir vêtus y veillent ainsi que Gines, le détective champion des filatures, qui a des agents dans tous les ports. Le fuyard se retrouve même accusé du "braquage" d'un convoi de fonds entre l'Écosse et Londres. Et au cœur de la capitale comme au milieu du pays de Galles, il retrouve imprimées ses propres aventures criminelles ! La cavale de Caleb Williams finira-t-elle donc jamais ? Le ressassement permanent de ses plans anti-Falkland, les retournements de situation, les caches et les déguisements successifs, tout concourt à faire vaciller sa raison. William Godwin est un roi du suspense !

 

Anarchiste, fils et petit-fils de pasteurs presbytériens, William Godwin avait rompu avec la "bonne société" anglaise et choisi le parti du radicalisme. Son récit est à l'image de ces choix. Les personnages principaux de Godwin sont imperméables à toute transcendance et son héros est préoccupé de justice, thème de son essai à succès publié en 1793. Les relations hommes-femmes sont très réduites : Emilie s'est éprise de Falkland, mais après son décès, il n'est plus question de relations amoureuses dans le roman. Selon Michel Onfray, l'auteur était encore vierge quand il publia “les Aventures de Caleb Williams”.

 

Le roman parut en Angleterre en mai 1794 alors que le gouvernement de William Pitt, apeuré par les conséquences politiques et sociales de la guerre avec la République jacobine, suspendait l'habeas corpus et faisait arrêter le leader radical Thomas Hardy. Avec ce roman à thèse, illustration de son essai sur la justice en politique, William Godwin croyait faire sauter la société anglaise, or il la secoua sans doute moins que les vingt-deux ans de guerres qui commencèrent presque en même temps que le livre parut. Toutefois la guerre n'empêcha pas une première traduction du roman en France dès 1794 et même une adaptation théâtrale où brilla Talma en 1797. D'autres traductions suivirent : l'édition parue chez Henri Veyrier en 1979 reproduisait une traduction du XIXe siècle. En 1997 il reparut chez Phébus mais ce tirage est épuisé. Disponible en anglais chez Penguin Classics ou via Google Books.

 

• William GODWIN : Les aventures de Caleb Williams
Éditions Henri Veyrier, 1979, 329 pages.

Texte en ligne sur Wikisource : tome 1tome 2 

 

 

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Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE, #RELIRE LES CLASSIQUES
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