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L’intérêt de ce récit d’Hisham Matar c’est d’abord bien sût l’histoire d’un fils qui s’inquiète du sort de son père probablement massacré avec d’autres prisonniers politiques, c’est aussi de lever le voile sur les atrocités commises par le régime autocratique de Khadafi qui a duré 42 ans de 1969 à 2011. Le présent du récit se situe quand Hisham, sa mère et son épouse reviennent à Benghazi après des années d’absence, juste après la chute de la dictature. Le moment est évidemment émouvant pour eux tous.

 

Le père du narrateur, Jaballa, n’était pas resté longtemps à New York dans la mission libyenne auprès de l’ONU. Juste le temps qu’Hisham naisse et que son père prenne conscience des orientations du nouveau régime qu’il avait cru au départ pouvoir soutenir. Il démissionna et se réfugia avec femme et enfants au Caire ; mais, quelques années plus tard, il y fut arrêté et livré à la police de Khadafi. Jaballa ne se contentait pas d’être un dissident, il finançait des opposants qui allaient s’entraîner militairement au Tchad. Dans sa famille originaire d’Adjabiya et de Benghazi, nombre d’oncles et de cousins s’étaient voués à la résistance au tyran de même que le père de Jaballa avait résistait à la colonisation italienne. En juin 1996, au moins 1270 détenus de la prison d’Abou Salim (à Tripoli) furent exécutés en présence d’Abdallah Senoussi, chef des services secrets du dictateur. Peut-être le père de l’auteur faisait-il partie des martyrs. Peut-être pas. En tout cas, ce fut un élément moteur qui conduirait au soulèvement de 2011. A ce moment où déjà la révolution avait éclaté à Tunis et au Caire, la foule libyenne insurgée libéra de ses geôles plusieurs membres de la famille d’Hisham Matar. Mais de son père, aucune nouvelle.

 

Après son frère qui avait fait des études en Suisse, Hisham avait poursuivi des études à Londres. C’est là qu’il se trouvait au moment de l’enlèvement de son père. Il fréquentait souvent la National Gallery, passant des heures à contempler un Titien ou un Manet. Il y était encore quand se produisit le massacre d’Abou Salim. Déjà connu pour son premier roman (Au pays des hommes) l’auteur s’est consacré à remuer ciel et terre pour obtenir des renseignements. Son père était-il encore vivant ? Sinon, ou et quand avait-il été éliminé ? Qu’avait-on fait de son corps ? Des discussions à n’en plus finir et sans résultat furent même entreprises avec des proches du dictateur comme avec des diplomates libyens en poste à Londres, ainsi qu’avec des parlementaires britanniques — car l’auteur avait acquis la nationalité britannique.

 

Ce récit poignant n’est pas que factuel, il laisse une très large place aux réactions psychologiques de l’auteur, de ses proches, de ses oncles. Avec émotion, ceux qui sont libérés ont soif de raconter leur détention, et Hisham de montrer qu’il n’a cessé de penser à eux. Ce retour au pays ne permettra pas de faire toute la vérité sur la disparition du père et ne sera pas durable car le Printemps arabe a dérapé ici aussi, mais il permettra à l’auteur de mieux connaître la terre qui l’a séparé de son père et qu'il avait quittée à l’âge de 8 ans. 

 

Hisham MATAR : La terre qui les sépare. - Traduit de l’anglais par Agnès Desarthe. Gallimard, 2017. [The Return: Fathers, Sons and the Land in Between (Random House US)]. L’ouvrage a été couronné du prix Pulitzer pour la biographie en 2017.

 

Tag(s) : #LIBYE, #LITTERATURE ANGLAISE
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