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Le suisse Peter Bieri (1944-2023) a mené une carrière universitaire de linguiste et de philosophe. Il a aussi écrit des romans sous le pseudonyme de Pascal Mercier. Train de nuit pour Lisbonne est sans doute le plus connu d'autant qu'il a été adapté au cinéma par Bille August en 2013.

 

Raimundus Gregorius, son improbable héros, est un professeur bernois bien routinier qui enseigne le latin et le grec au lycée. Il maîtrise aussi l'hébreu et le persan. Il vit séparé de sa femme depuis qu'elle a terminé une thèse sur une mystique espagnole. Gregorius est une vraie caricature d'érudit largement coupé de la vie du monde qui l'entoure. Il ne brille pas par son élégance, habillé sans goût et le regard caché sous de grosses lunettes de myope car son ophtalmologue, un grec ex-chauffeur de taxi, semble plus soucieux de jouer aux échecs avec lui que de lui rédiger une ordonnance pour des verres modernes.

 

Qu'est-ce donc qui amène le prof à prendre le train pour Lisbonne ? Un matin, sur la route du lycée, il a arrêté une femme qui semblait vouloir se suicider en se jetant dans la rivière. Celle-ci lui a seulement dit qu'elle était portugaise et comme il pleuvait fort, ils sont allés se mettre au sec à son lycée ; puis après son départ, ou plutôt sa fuite, il s'est lui aussi décidé à quitter ses élèves, les plantant là sans explication. Un besoin d'air... qui l'a d'abord amené à pousser la porte de sa librairie habituelle et à y chercher quelque chose en portugais. Le hasard fait qu'il y trouve l'ouvrage d'un certain Amadeu de Prato, paru à Lisbonne en 1975, un livre de fragments de plusieurs pages de pensées denses ou de passages très courts. L'introduction et ces quelques mots traduits par le libraire décident Gregorius à l'acheter : « S'il est vrai que nous ne pouvons vivre qu'une petite partie de ce qui est en nous — qu'adviendra-t-il du reste ? » Hameçonné par ces propos le savant professeur décide d'aller sur place chercher à savoir qui était cet Amadeu de Prato qui semble si bien manier la réflexion philosophique. Dès le lendemain, et puisqu'il n'aime pas l'avion, il prend un train pour Genève, un autre pour Paris, un TGV pour Irun, et enfin un train de nuit pour le Portugal. Dans ce train il se fait une première relation qui lui sera utile à Lisbonne.

 

Et c'est parti pour une longue enquête qui permet au Suisse, non pas de retrouver Amadeu qui était décédé trente ans plus tôt, mais plusieurs personnes qui l'ont connu. Devenu veuf, Amadeu exerçait la médecine avec sa sœur aînée Adriana comme secrétaire toute dévouée. Riche aristocrate, fils d'un juge sévère à la solde du régime, il avait offert la pharmacie à son ami Jorge, son partenaire aux échecs. Surtout, Amadeu est très doué : il a sauvé sa sœur aînée par une trachéotomie improvisée, et il a également sauvé in extremis le chef de la police politique de Salazar. Ce dernier exploit lui vaut la haine de son quartier. Alors Amadeu se rachète en entrant dans le réseau de résistance de João Eça contre le dictateur Salazar. Il y rencontre Estefania à la mémoire prodigieuse, archive vivante de ces résistants, qu'il importe de protéger en ces temps où la PIDE torturait les résistants ou les envoyait périr au camp de Tarrafal au Cap-Vert.

 

Au fil des rencontres avec des membres de l'entourage d'Amadeu, Gregorius, toujours le recueil des pensées d'Amadeu à la main, pour les citer d'abondance, recueille les réactions des uns et des autres. Le Liceu en ruines, où Amadeu fit ses études et un provocant discours de fin d'année devant le Père Bartolomeu, devient pour Gregorius un lieu de pèlerinage et de méditation, autant que l'université de Coimbra où il étudia la médecine, voire le cap Finisterre où il avait accompagné la jeune Estefania dans sa fuite vers l'Espagne. Les longues citations des pensées du médecin sont comme autant de sujets de réflexion, sur la vie et la mort, la contingence, l'amitié. Ces cogitations philosophiques en viennent à donner des vertiges à Gregorius ! Et le lecteur lui-même n'en est pas à l'abri... Ce roman a été qualifié en toute justice de "trésor de la littérature européenne".

 

 

Pascal Mercier : Train de nuit pour Lisbonne. Traduit de l'allemand par Nicole Casanova. 10/18, 2008, 510 pages. [Nachtzug nach Lissabon, München, 2004]. Une réédition est annoncée par Les Argonautes pour mai 2024.

 

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ALLEMANDE, #SUISSE
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