Les émissions de littérature à la télévision, comme jadis Apostrophes, ou actuellement La Grande Librairie, nous ont accoutumés à des conversations policées qui, autant que je sache, ne se sont jamais terminées par des menaces de mort contre l'animateur. A peine se souvient-on d'une émission où le regretté Jean-Edern Hallier jetait un livre qu'il n'aimait pas dans un aquarium empli d'eau... Il n'en est pas de même dans ce roman de Martin Walser, Mort d'un critique où un romancier outré de voir son ouvrage éreinté est soupçonné d'avoir assassiné le critique littéraire qui animait l'émission télévisée genre talkshow.
Munich, en plein hiver.
Le romancier en colère s'est rendu dans la villa de son éditeur qui organisait une petite réception avec le critique après l'émission. Il n'était pas invité. Mais l'épouse de l'éditeur l'a quand même laissé entrer. C'est ainsi qu'il a menacé le critique, avant d'être expulsé. Le problème est que le lendemain il n'y a plus trace du critique, mais que sa voiture est restée près de la villa, que son écharpe de cachemire maculée de sang est retrouvée sur le capot de la voiture. La neige a continué de tomber : pas trace de corps. La presse est aussitôt en alerte et un ami et voisin de quartier du romancier, Michael Landolf, — lui-même spécialiste de « la mystique, la cabale, l'alchimie, la doctrine des rose-croix » et recherchant, dans l'histoire de la littérature allemande l'origine de l'emploi de la première personne — s'efforce de faire le tour de ses relations et de celles du critique disparu pour prouver l'innocence du romancier, vite incriminé puis, devant son mutisme et son comportement anormal, placé en clinique psychiatrique. On apprendra bien plus tard que le critique s'est éclipsé pour roucouler avec la belle Cosima dans le château où elle habite loin de la ville. Et que de meurtre, il n'y a point... mais suicide et adultère ; car après le décès de l'éditeur, le romancier ira consoler sa veuve dans une autre villa, aux Canaries.
L'enquête de Michael Landolf — à supposer qu'elle ne soit pas une invention du romancier en colère — nous donne un panorama très amer de la scène littéraire contemporaine sous l'impact majeur de la télévision voire des chroniques littéraires des journaux. Le grand critique se comporte comme un Grand Manitou qui classe cyniquement les ouvrages qu'il présente aux téléspectateurs en bon livre ou mauvais livre. C'est sans nuance. On nage en plein règlement de comptes.
Un tel ouvrage pose néanmoins quelques problèmes.
À la publication en Allemagne en 2002, le critique visé a aussitôt été identifié comme étant Marcel Reich-Ranicki, également chroniqueur littéraire à la Frankfurter Zeitung (FAZ), et par ailleurs survivant du génocide, et avec qui Walser avait déjà eu des querelles. D'autres personnages du roman ont aussi été identifiées à des figures de la vie littéraire et culturelle allemande, y compris... Jürgen Habermas pour citer une personnalité connue et appréciée en France. Et c'est donc plus qu'un parfum de scandale qui a suivi la publication du roman. La Süddeutsche Zeitung, où Walser écrivait des articles, a au contraire pris son parti. On a frisé la guerre civile... À la suite du scandale Martin Walser a choisi de quitter son éditeur Suhrkamp pour Rowohlt !
Si on considère maintenant la traduction de Sylvie Taussig, le lecteur à de quoi être surpris par certains aspects de son travail (qui a été certainement fort délicat). D'une part, elle a cherché à rendre le défaut d'élocution du critique en déformant les mots que l'auteur prête à l'homme de télévision (elle l'a expliqué en note de bas de page) ; d'autre part elle a traduit plusieurs noms de personnages, ce qui n'est généralement pas l'usage. Ainsi le romancier Hans Lacher de la version originale devient Jean Ris ; le critique star André Ehrl-König — clin d’œil au poème de Goethe — devient André Roi-Désaulneurs (on entend : déshonneur !) ; la femme de l'éditeur Julia Pelz-Pilgrim devient Pelisse-Pérégrin ; le professeur Silberfuchs devient Goupilargent ; Rainer Heiner Henkel qui se prétend le mentor du critique devient René Henri Collet, ce qui correspond bien à ses origines françaises. L'effet obtenu m'a fait hésiter entre le comique probable et le mauvais goût possible.
Au final, voilà bien « une farce policière et une satire des médias », tout autant qu'une « étude psychologique des problèmes d'identité des écrivains à l'ère des médias » pour reprendre des formules de Wikipédia (traduites de la page de Tod eines Kritikers). Et pour conclure, il me semble que les insinuations formulées Outre-Rhin contre Martin Walser — notamment d'antisémitisme — étaient tout simplement délirantes.
• Martin Walser : Mort d'un critique. Roman traduit de l'allemand par Sylvie Taussig. Éditions des Syrtes, 2006, 280 pages. (Tod eines Kritikers, Suhrkamp, Frankfurt am Main, 2002).