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Les Arpenteurs du monde est un roman biographique où l'on retrouve, de manière souvent ironique et fantaisiste, la vie de deux illustres savants du XIXe siècle : Alexander von Humboldt (1769-1859) et Carl Friedrich Gauss (1777-1855).
Le romancier imagine pour commencer leur rencontre à Berlin, l'un étant reçu à l'invitation de l'autre, alors qu'ils sont déjà célèbres, l'un pour les travaux qui lui ont valu le titre de « Prince des mathématiques », l'autre pour son voyage en Amérique du sud à l'origine de la publication de nombreux volumes scientifiques. Les chapitres suivants font alterner l'histoire de l'un et de l'autre, sans constituer une biographie exhaustive, plutôt des morceaux choisis de leurs aventures.
Si les deux hommes ont en commun d'avoir étudié à Göttingen, tout les oppose dans leur caractère. Gauss se montre grognon, déteste les voyages, parle constamment de rentrer chez lui, ne se sentant bien qu'à Brunswick et près de son télescope. Veuf de Johanna, il trouve plus simple d'épouser sa meilleure amie. Il s'occupe peu de ses enfants, y compris de cet Eugène qu'il méprise bien qu'il l'ait aidé à ses travaux de triangulation, arpenteur au service de l’État, avant d'émigrer. Humboldt, lui c'est le vaste monde qu'il arpente, et une grande partie du roman suit son expédition à travers le continent américain avec Bonpland qui lui sert de secrétaire. N'ayant pu rejoindre l'expédition française en Égypte, ils ont gagné Ténériffe et traversé l'Atlantique pour explorer la Nouvelle Grenade — la Colombie actuelle — et les régions voisines.
Alexander von Humboldt, pas attiré par les femmes au contraire de son secrétaire, fait preuve d'une curiosité sans borne pour la vie tropicale. Il collectionne les plantes et les roches. Il achète un stock de curare en Amazonie. Infatigable, il fait l'ascension des volcans, comme le Chimborazo. Il expédie courriers et essais à son frère Wilhelm resté en Allemagne et qui lui assure de publier dans la presse des articles célébrant ses découvertes. C'est donc un homme archi-connu qui est reçu çà et là par les gouverneurs et les notables. Des journalistes viennent à sa rencontre. Il est reçu par le président Jefferson qui l'interroge sur le Mexique. De retour en Europe, il devient chambellan du roi de Prusse et se fait inviter par le tsar. Le botaniste de la forêt amazonienne devient ainsi un minéralogiste dans l'Oural.
Le roman est ainsi habilement fondé sur le contraste entre deux psychologies distinctes, deux savants illustres du début du XIXe siècle, une époque où l'homme de science n'est pas encore lié à une spécialité précise, mais s'intéresse à de multiples domaines en même temps, et parfois l'on voit l'un ou l'autre imaginer les applications futures de ses découvertes, dans le domaine de l'électricité par exemple. Un tel sujet aurait pu devenir pesant ; il n'en est rien. L'écriture de Kehlmann fait que ce n'est jamais pédant, et au contraire plutôt cocasse.
• Daniel Kehlmann : Les Arpenteurs du monde. Traduit par Juliette Aubert. Actes Sud, 2007, puis Babel 2019, 298 pages.