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En 1764, Horace Walpole, fils du premier des Premiers ministres de l'histoire anglaise, publia anonymement d'abord ce qu'il tenta de présenter comme la traduction d'un vieux roman édité vers 1529 en Italie et retrouvé dans une bibliothèque de famille. Puis, quand le succès fut au rendez-vous, il ne cacha plus qu'il en était l'auteur. L'heure était au « Grand Tour » des jeunes aristocrates britanniques vers les trésors et les ruines de la Méditerranée. Mais personne n'allait jusqu'à Otrante visiter son château médiéval trapu comme un rifat tunisien.

 

De fait Walpole évite toute description précise des lieux où il place son drame, l'histoire de ce prince d'Otrante, nommé Manfred qui au tout début du récit perd son fils Conrad quelques heures avant ses noces et à la fin perd aussi sa fille Mathilde qu'il a assassinée … par erreur sur la personne. Donc, pas de couleur locale, mais juste de quoi s'interroger sur l'intrigue. En effet, ce n'est pas non plus la psychologie des personnages, esquissés à grands traits comme dans une vieille BD, qui peut susciter l'intérêt du lecteur.

 

Tout est dans la trame impitoyable. Manfred, personnage peu sympathique, voire haïssable, est le petit-fils d'un usurpateur, Ricardo, qui s'était emparé du légitime trône d'Alphonse suite à leur naufrage sur la côte sicilienne. C'est là le crime qui poursuit Manfred et annonce sa perte sous la forme d'une malédiction à laquelle il tente en vain d'échapper. Pour enraciner sa lignée, Manfred a voulu marier son fils Conrad — trop jeune et chétif — à Isabelle de la noble famille d'un marquis. Mais Conrad étant mort, Manfred imagine divorcer pour épouser cette Isabelle et en même temps marier Mathilde au marquis son père. Trop sûr de lui, il ne prévoit pas les vagues que ça ferait... Il n'a surtout pas prévu qu'arriverait ce jeune Théodore, par la suite dévoilé comme descendant d'Alphonse, bâtard sans doute mais téméraire et beau gosse, au point de séduire à la fois Isabelle et Mathilde ! Sans compter que le dit Théodore est soutenu par un homme d’Église ! Qui de surcroit est... son père.

 

En effet, comme si ça ne suffisait pas, et c'est l'innovation majeure introduite par ce roman gothique premier du genre, l'écrivain multiplie les “effets spéciaux”. Apparitions de spectres, botte d'un géant au milieu d'une salle du château, heaume énorme orné de plumes et tombé du Ciel pour écraser Conrad, ouverture d'un passage secret pour s'évader par un souterrain, ou encore un tremblement de terre ruinant une aile du château (mais tous y échappent, plus de peur que de mal), et bien sûr évanouissements à répétition de la princesse Hippolite et de sa fille Mathilde. Manfred — ce « monstre inhumain » — et sa femme n'ont plus qu'à aller finir leurs jours au couvent.

 

Cela fait beaucoup pour un petit livre de seulement 130 pages. Mais elles ont chamboulé le paysage littéraire de la fin du XVIIIe siècle : s'en suivront de plus effrayants romans : Vathek de Beckford en 1786, les Mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe en 1794, le Moine de Lewis en 1796 pour rester dans le cadre de la littérature anglaise. Bientôt la vague romantique aura submergé le continent et le début du siècle suivant.

 

 

Horace Walpole : Le château d'Otrante. Traduit par Dominique Corticchiato. José Corti, Collection romantique, 1981, 153 pages avec les préface et postface. [1ère édition Corti en 1943]. Sur le site de la BNF voir l'édition française de 1767.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE, #RELIRE LES CLASSIQUES
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