Les Nouvelles de Petersbourg constituent une introduction recommandée à quiconque souhaite découvrir l'œuvre de Nicolas Gogol. Chacune de ces nouvelles mérite une présentation rapide.
La Perspective Nevski. C'est comme on sait l'artère majeure de la capitale du Nord ; c'est le rendez-vous des élégances et le meilleur endroit pour la drague. Deux jeunes Russes, le peintre Piskariov et le lieutenant Pirogov suivent deux jolies filles, une brune et une blonde. Le premier se retrouve tout déçu chez une prostituée puis, tout émoustillé, en rêve dans une fête où il perd sa belle : il n'y survivra pas. L'autre se retrouve face au mari, un artisan allemand à qui, pour sauver la face il décide de commander des éperons et avoir ainsi une raison de revenir flirter avec sa femme. Une punition corporelle lui sera administrée par l'artisan Schiller et ses amis : il se consolera en dégustant des gâteaux.
Le Portrait. La nouvelle est double. Un premier volet voit le talentueux jeune peintre Tchartkov acheter pour quelques roubles un portrait dans un cadre conséquent qui s'avère cacher des pièces d'or. Devenu riche, il se lance dans une vie mondaine et en oublie sa créativité. Il s'en rend compte trop tard. De colère il taillade les toiles qu'il possède , s'enferme chez lui et en meurt. Le second volet reprend l'histoire d'un tableau dont le sujet est le portrait d'un usurier et souligne son côté maléfique ; le regard extraordinaire du portrait a provoqué des malheurs à ceux qui en furent les propriétaires. Alors que le tableau est mis aux enchères, le fils du peintre qui en était l'auteur revient sur l'histoire du portrait diabolique et annonce vouloir le détruire.
Le Journal d'un Fou. Fonctionnaire dans un ministère, Poprichtchine voudrait bien fréquenter la fille de son chef. S'aventurant jusque chez elle, il surprend son chien Medji parler avec Fidèle la chienne de visiteuses habitant la maison Zverkov, il s'y rend, s'empare des lettres cachées dans le panier de Fidèle. Leur lecture lui apprend que Sophie rit de ce personnage de Poprichtchine, le traite d' « avorton » et, pire, qu'elle va se marier avec un noble bien en cour. La folie du personnage s'aggrave dès lors, il se prend pour l'héritier légitime du trône d'Espagne, invente dates et mois, et finit à l'asile des fous, le crâne rasé, persuadé d'être devenu une victime de l'Inquisition.
Le Nez. Le major Kovaliov, « assesseur de collège caucasien », se réveille sans son nez, tandis que ce même 25 mars, jour de l'Annonciation, son barbier découvre un nez dans le petit pain de son déjeuner. Après sa tentative tentative avortée pour déposer une plainte au commissariat, après sa grande crainte de ne pouvoir être reçu dans divers salons de la capitale, soupçonnant même une diablerie de son amie Mme Podtotchine pour le contraindre à épouser sa fille, le major se fera encore raser par son barbier habituel, car le Nez finit bien !
Le Manteau. Cette nouvelle a été écrite par Gogol après les précédentes qu'il avait publiées en 1835. C'est finalement la plus triste des histoires, celle de ce petit employé de ministère, Akaki Akakiévitch, dont le vieux manteau rapiécé provoque l'amusement de ses collègues qui en font quasiment un martyr. Alors à force de privations, il s'en paie un neuf, vraiment magnifique, chez Pétrovitch son tailleur. Admiré au ministère où il fait sensation, Akakiévitch est alors invité par son chef de bureau. Hélas, la soirée finie, il est attaqué par des truands en rentrant chez lui et son manteau lui est dérobé. C'était en plein hiver : il prend froid et meurt de pneumonie. Au ministère en s'en aperçoit avec un retard regrettable.
La société pétersbourgeoise telle que Gogol nous la présente est dominée par une aristocratie qui truste les postes de direction dans les ministères, et dont la « table des rangs » créée par l'oukaze de Pierre le Grand est l'alpha et l'oméga. D'où aussi ce monde des bureaux dont le XIXe siècle a vu l'essor — qu'on pense à Balzac ou Courteline voire Melville — et cette atmosphère si spéciale où tailler des plumes d'oie est devenu un art, et copier des courriers administratifs une raison d'être.
Au sujet de ces nouvelles cocasses, bien d'autres remarques sont possibles. De la part de fantastique qui imprègne les quatre nouvelles de 1835, Gogol fait comme si ce n'était pas incompatible avec le réalisme qui caractérise en même temps ses fictions : « Vous aurez beau dire, des aventures comme cela arrivent en ce monde, c'est rare, mais cela arrive. » La recherche du réalisme emporte l'écrivain vers des cascades de détails, soit logiques, comme de creuser la présentation d'un personnage, soit totalement incongrus, comme un bouton sur le nez, ce qui fait le charme particulier de ces fictions. Une spécialiste de littérature a justement évoqué le « vertige du détail » et « le regard d'entomologiste » de l'auteur du Manteau.
Le fantastique bien présent n'empêche donc pas de fines descriptions des personnages, des choses, des lieux et de célébrer la capitale du tsar. Les personnages principaux choisis par Gogol sont des solitaires, et à part le major Kovaliov ils n'ont même pas les moyens d'employer un domestique. Ils s'opposent ainsi aux riches et puissants directeurs et chefs de services des ministères. Au moyen du ridicule et du rire, Gogol, en bon moraliste, cherche à créer la sympathie du lecteur pour ses personnages d'individus modestes, faibles créatures de Dieu — bien qu'il n'en soit pas fait mention. D'ailleurs Gogol a surpris son public en devenant de plus en plus religieux voire mystique dans les dernières années de sa vie, ainsi qu'en ne terminant pas les aventures de l'immoral Tchitchikov, le héros des Âmes mortes.
Pour toutes ces raisons, Les Nouvelles de Pétersbourg fait partie de mes lectures préférées !
• Nicolas Gogol : Nouvelles de Petersbourg. (Петербургские повести, 1ère édition russe en 1835-1843).
L'édition Folio comprend une préface de Georges Nivat et des traductions de Gustave Aucouturier, Sylvie Luneau et Henri Mongault . L'édition Garnier-Flammarion se fonde sur la traduction de Boris de Schloezer. Une autre édition est disponible au Livre de Poche Classique, n°9630. Plus récemment, en 2007, collection Babel avec traduction d'André Markovicz qui ajoute la nouvelle "Rome". Enfin "Nouvelles complètes" chez Quarto, en 2010.