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Étrange pays que la Malaisie devenue indépendante quelques années seulement avant la naissance de l'auteur. Autochtones malais détenteurs du pouvoir et immigrés indiens et chinois forment une société multiculturelle sans groupe majoritaire.

 

Durant sa scolarité Tash Aw prend conscience de cette profonde diversité ethnique bien avant de découvrir l'ampleur des inégalités sociales. Le pays connaît une urbanisation et un enrichissement rapides, les conditions de vie changent, la classe moyenne s'étoffe et mise sur l'éducation de sa descendance. Au lycée Tash Aw voit avec étonnement certains de ses condisciples les plus favorisés parader après des vacances passées au loin, ou s'expatrier pour aller achever leurs études secondaires à l'étranger. Lui-même se rendra, non pas à Kuala Lumpur ou même Singapour, mais en Angleterre pour son cursus universitaire, et c'est donc en Europe qu'il commencera à écrire, lui le descendant de migrants chinois pauvres, le petit-fils d'une grand-mère illettrée.

 

« Regardez où nous en sommes, par rapport au point où nous en étions il n'y a pas si longtemps » : en disant cela les parents taisaient bien des difficultés qu'ils avaient rencontrées, fiers de leur ascension sociale, mais cachant la honte de leur misère initiale. La transmission des grands-parents aux petits-enfants, non pas de capital économique, mais de capital culturel, de souvenirs familiaux incertains mais interrogés — difficilement — par les descendants, forme le thème récurrent.

 

Il est émouvant de voir l'auteur retrouver des souvenirs familiaux concernant son grand-père paternel parti « dans les profondeurs du Kelantan », les parages des mines d'étain, puis sa grand-mère maternelle, venue tenir boutique dans un village où il passerait bien des étés, trimant comme tous les immigrés chinois jadis débarqués en Malaisie avec juste en poche l'adresse d'un compatriote ou d'un parent déjà sur place. En faisant leur portrait, et à travers eux, celui de toute une génération pauvre, rurale et ignorant les soubresauts politiques du temps, Tash Aw montre le bouleversement de la société malaise dans laquelle les grands-parents se sont finalement intégrés, tout en restant des Chinois de la diaspora.

 

Tous ont emporté avec eux le dialecte chinois des provinces d'origine, celle du littoral de la Chine du Sud. Qu'est-ce qu'être Chinois ? se demande l'écrivain qui s'interroge sur sa langue et celle de ses proches non pas seulement par vocation professionnelle, mais par fidélité à ses racines. Rien qu'à considérer cette question du langage, on se rend compte de la diversité de l'univers chinois.

 

« Je parle le mandarin avec un accent neutre, mais mon discours porte inévitablement des traces de mes origines et de mon éducation, car j'ai grandi dans un foyer où mes parents parlaient entre eux un dialecte minnan de la province de Fujian (et plus particulièrement avec un accent et un vocabulaire malais de Penang), à nous en mandarin, à leurs frères et sœurs en hainanais (du côté de mon père), ou un mélange de hokkien et de cantonais (du côté de ma mère).» (p.63).

 

Quand l'auteur était jeune étudiant en Angleterre, ce pedigree linguistique ne pouvait pas faire le poids face aux aristocrates qui débitaient d'un air détaché les prénoms de leurs quatre arrière-grands-mères. Lui, sa grand-mère boutiquière, il ne savait même pas en quelle année elle était née. Elle s'appelait Swee Ee et il lui rend hommage en la tutoyant dans la second partie de ce livre dont la lecture est plaisante et instructive.

 

Tash AW : Étrangers sur la grève. Portrait de famille. - Traduit de l'anglais par Johan-Frédérik Hel Guedj. Fayard, 2023, 122 pages.

 

 

Tag(s) : #MALAISIE, #LITTERATURE ANGLAISE
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