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Remarquable roman d'une autrice née à Lahore en 1969, Transgression offre au lecteur occidental une vue précieuse sur la société pakistanaise du dernier tiers du XXe siècle.

 

Des familles entre deuil et projet matrimonial

 

Le sujet repose sur les relations interpersonnelles des membres de quelques familles habitant Karachi et sa région. Apprenant la mort de son père, Daanish quitte ses études de journalisme aux Etats-Unis le temps des vacances universitaires. Shafqat, son père, exerçait la médecine qu'il avait étudiée à Londres. Daanish est fils unique et Anu sa mère — possessive ! — tient à le marier avec une certaine Nisrine qu'on lui présente pendant une des cérémonies du deuil. Daanish, qui a vécu des aventures féminines en Amérique, aspire en fait surtout à devenir journaliste comme son grand-père célèbre pour s'être battu jadis pour l'indépendance du pays et contre la dictature militaire.

Durant le trajet en avion Daanish a fait la connaissance de Khurram, qui s'avère être un de ses voisins, fils d'un homme d'affaires prospère qui s'est fait bâtir une grande villa dans sa rue. Ce Khurram emploie comme garde et chauffeur Salaamat, fils d'un ancien pêcheur, dont la sœur Sumbul est une employée appréciée de Rifaat, qui a aussi recruté comme gardiens deux frères de Sumbul. De son mariage avec Mansoor, Rifaat a deux fils et une fille, Dia, l'amie de Nisrine, qui termine ses études secondaires, mais se passionne bien davantage pour l'élevage des vers à soie, entreprise fondée par sa mère revenue de ses études de design en Angleterre. Rifaat est veuve de Mansoor sauvagement assassiné cinq ans auparavant : il dirigeait une entreprise textile de tissage et confectionnant des soieries achetées par la bourgeoisie pakistanaise. L'affaire est maintenant gérée par l'entreprenante Rifaat qui élève sa fille en rupture avec les mœurs conservatrices locales. D'où le titre Transgression.

 

Une intrigue aux thèmes multiples

 

Daanish et Dia entament une idylle sans savoir que le père du premier et la mère de la seconde ont eu des relations autrefois, à Londres, puis au Pakistan. L'un et l'autre s'intéressent aux vers à soie, se plaisent, partent en bord de mer et font l'amour à la plage loin des familles. Cette idylle reste longtemps secrète, du moins tant que Salaamat, qui a parfois fait le chauffeur, ne vend pas la mèche à sa sœur qui elle même se confie à sa patronne, et par ailleurs avoue à Anu que le couple transgressif se retrouve dans une maison en chantier.

Curieux personnage que ce cafteur de Salaamat ! Au départ c'est une bouche de trop à nourrir que sa famille de pêcheurs ruinés par la pêche industrielle envoie chercher du travail à Karachi. Salaamat se fait exploiter pendant des mois et des mois par une garage qui aménage et décore des autobus. Là, il travaille avec des gens qui le mettent en rapport avec un groupe terroriste et régionaliste qui prévoit de séparer le Sindh — la province de Karachi — du reste du Pakistan dominé par les Punjabis. Ce groupe participe donc aux troubles dramatiques qui caractérisent le pays dans les années 80-90 ; il est responsable de la mort de Mansoor victime d'un enlèvement, puis torturé et jeté dans le fleuve. Cette affaire amène Salaamat à prendre ses distances avec les terroristes — d'autant que sa famille est au service des Mansoor ! — et à se reconvertir dans la sécurité, le voici donc employé de la famille de Khurram... et accessoirement il fait le chauffeur pour Daanish quand sa Datsun est en panne.

Bien que discret sur les affaires religieuses et la tension avec l'Inde, le roman fait le tour des problèmes structurels du pays, qui n'ont guère changé depuis l'été pakistanais de Daanish. Plusieurs personnages du récit laissent voir leur exaspération devant la violence, la corruption, la bureaucratie paperassière et paresseuse, les pannes d'électricité, l'état lamentable des infrastructures, la crise écologique même. Surtout il montre une société traditionaliste, conservatrice, principalement lorsqu'il s'agit de sexe, voilà le grand tabou. La romancière fait de Dia et Rifaat ses porte-paroles, ce sont elles qui souhaitent faire céder le carcan des traditions, et faire évoluer la situation des filles et des femmes dans un pays particulièrement viriliste. Une femme seule dans le bus ou dans la rue passe pour une putain.

 

Le roman qui a lancé U.A. Khan

 

L'écriture très moderne d'Uzma Aslam Khan casse brillamment la classique narration linéaire tout en donnant du suspense à son intrigue. Elle sait permettre à ses personnages d'être chacun à leur tour l'élément moteur du roman. Elle utilise habilement le contexte politique des divers épisodes qu'il s'agisse des manifestations contre la guerre du Vietnam vers 1968, de l'irritation contre l' intervention américaine contre l'Iraq de Saddam Hussein, ou encore par l'évocation des fournitures d'armes destinées à équiper les “combattants de la liberté” contre la présence soviétique en Afghanistan. Sur les cinq romans d'Uzma Aslam Khan, deux ont été traduits en français, chez Picquier.

 

 

Uzma Aslam KHAN : Transgression. Traduit de l'anglais par Marie-Odile Probst, Philippe Picquier, 2003, 650 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE, #PAKISTAN
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