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Le premier volet du chef-d'œuvre de Lawrence Durrell, le Quatuor d'Alexandrie, porte le nom de l'héroïne principale, Justine, et développe l'histoire d'une passion amoureuse moderne. Deux volumes suivants, Cléa et Balthazar, reprendront cette romance et les multiples intrigues qui se greffent autour, avec des points de vue différents, tandis que Mountolive sera plus politique.

 

Le narrateur qui reste anonyme dans ce premier volume, — on apprendra son nom dans le suivant — se remémore ses années passées à Alexandrie. Jeune professeur irlandais animé du désir de devenir écrivain, il tombe amoureux fou de Justine qui est mariée à Nessim, alors qu'il a déjà une relation intermittente avec Melissa. Ce sont là les quatre personnages essentiels d'un roman dont on peut estimer que la ville d'Alexandrie est le cinquième élément.

 

L'écrivain britannique né aux Indes et mort en France a fait de la Méditerranée son cadre de vie, voire sa patrie d'adoption, résident à Corfou et à Chypre, sans oublier Alexandrie de 1942 à 1945. Commençons donc par elle, le port que fréquentent de vieux marins, et surtout la grande ville du littoral dont les plages attirent régulièrement les personnages du roman, le narrateur, Justine, mais aussi Cléa, Mélissa ou encore Nessim. Ce dernier a fait construire pour Justine et ses chevaux une villa d'été isolée près de la plage à quelques dizaines de kilomètres à l'ouest. Les couchers de soleil et le souffle du large sur le front de mer font partie d'un décor que Durrell présente comme très attirant. Au sud, le lac Maréotis — pas encore réduit par l'urbanisation galopante — étale ses eaux saumâtres et ses marais où Nessim organise une partie de chasse tragique qui est l'un des temps forts du roman puisque l'un des protagonistes y perd la vie. Alexandrie avec ses nombreux cafés, salles de spectacles et bordels apparaît presque comme la capitale d'une “classe de loisirs” d'où la religion musulmane, bien que dominante en Égypte, est largement absente, mis à part une mention de l'appel du muezzin qui réveille le narrateur. En effet, Durrell montre la ville carrefour où se retrouvent des personnes d'origines diverses à la recherche du bonheur terrestre, une ville cosmopolite qui abrite plusieurs consulats étrangers où travaillent des employés comme Georges Pombal le colocataire français du narrateur.

 

Justine et Nessim, Melissa et le narrateur, voici deux couples instables ; ils forment le carré magique, le quatuor à la base de ce premier volume. Justine, « vraie fille d'Alexandrie, c'est-à-dire ni Grecque, ni Syrienne, ni Égyptienne, mais une hybride, une charnière du monde », est née dans une famille pauvre du quartier juif. Après un mariage précoce la fille du Juif d'Odessa est parvenue — on ne sait comment — à devenir l'épouse de Nessim Hosnani, le riche banquier copte, l'esprit cultivé, le personnage important de la vie mondaine puisque le roi fait partie de ses invités. Or, son amour pour Nessim ne lui suffit pas. « Cela ne peut mener à rien cette affaire entre un pauvre professeur et une femme de la haute société d'Alexandrie. Cela finira par un scandale mondain qui nous laissera seuls chacun de notre côté et tu seras obligée de te débarrasser de moi » lui oppose le narrateur et Justine réplique : « nous n'avons pas le choix ». Femme fatale d'une sombre beauté, Justine navigue dans un milieu huppé où on lit Cavafy, mais aussi à la recherche d'affinités de l'esprit, avec le docteur Balthasar l'animateur d'un cercle d'études de la kabbale, et jusque dans l'Alexandrie interlope du vieux marin Scobie en quête d'amitiés viriles. L'autre brune c'est Mélissa, l'ancienne amie de Cohen, la danseuse grecque, au talent discutable selon le narrateur qui est aussi son amant désargenté. Aux brunes s'oppose Cléa la rousse syrienne qui vit en artiste peintre et a connu avec Justine une expérience saphique. Enfin il ne faut pas cacher que le narrateur et Nessim — qui longtemps ne semble pas lui tenir rigueur de flirter avec sa femme — font ensemble la tournée des cabarets, par exemple pour voir Melissa se donner en spectacle.

 

Après ces années intensément vécues à Alexandrie et les deux tristement passées à enseigner en Haute-Égypte, le narrateur s'est retiré sur une île grecque suite à la mort de Melissa. Le narrateur y vit avec l'enfant née des brèves amours de Nessim et de Melissa. Là il met au propre ses souvenirs, adoptant une structure narrative qui fuit la linéarité d'une chronique : c'est un flash back décousu, avec des ruptures qui permettent de descendre ou remonter le temps, d'ouvrir des vues perspectives sur tel ou tel personnage, tel l'inquiétant Capodistria, à « la tête triangulaire d'un serpent », ou encore Pursewarden le romancier à succès — comme un double du narrateur. Celui-ci puise aussi dans d'autres sources que sa mémoire pour faire le portrait moral de Justine : elle se cache sous le pseudonyme de Claudia dans Mœurs le roman d'Arnauti qui a été son premier mari, un livre lu aussi par Pombal, ou encore dans son journal intime, que Nessim lui a remis bien après que leur deux compagnes les ont quittés : l'une pour un sanatorium qui ne pourra la sauver, l'autre pour un kibboutz en Palestine. Deux histoires d'amour qui finissent mal... et un roman inoubliable.

 

• Lawrence Durrell : Justine. Traduit par Roger Giroux. Buchet-Chastel, 1957. 432 pages dans l'édition du Livre de Poche.

 

Du même auteur : Le Quintette d'Avignon
Citrons acides (1957)    Monsieur ou le Prince des Ténèbres (1974)
Un Faust irlandais (1963)    Livia ou Enterrée vive (1978)
Sappho (1962)    Constance ou les pratiques solitaires  (1974)
Actée ou la Princesse barbare (1965)    Sébastien ou les passions souveraines (1983)
Le sourire du Tao (1982)    Quinte ou la version Landru (1985)

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ANGLAISE
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