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Présenté comme thriller dans la collection Points, ce roman du mexicain Jorge Volpi se fonde sur l'histoire de la recherche nucléaire en Allemagne jusqu'en 1945. De fait, Werner Heisenberg — qui a reçu en 1932 le Prix Nobel de Physique pour sa théorie des quanta — a piloté jusqu'en 1945 ce que les historiens ont appelé l'Uranium Club de Hitler. Le régime nazi a cru jusqu'à ses derniers mois d'existence en la possibilité de réaliser une bombe atomique et comme l'Institut de Physique Kayser-Wilhelm de Berlin était menacé de destruction par les bombardiers alliés, Heisenberg déménagea ses équipes et leurs expériences de réacteur dans une cave d'un château de Forêt Noire. À la chute du IIIe Reich, Heisenberg et ses collègues se retrouvent bientôt arrêtés par les troupes américaines (opération Alsos) et prisonniers de juillet à décembre 1945 à Farm Hill, une ferme du MI6 près de Cambridge où leurs conversations seront enregistrées. Là, ils seront fort vexés d'apprendre ce que les Américains ont réussi avant eux. Mais les Américains, eux, s'interrogeaient sur la question de savoir où en étaient exactement arrivés les physiciens au service du nazisme quand la guerre s'acheva. Le roman de Jorge Volpi emmène donc ses lecteurs en Allemagne à la recherche d'un certain Klingsor* qui aurait été le vrai chef d'orchestre de la recherche scientifique financée par l'organisation SS.

 

 

Toute l'histoire est exposée par un mathématicien (fictif !) sensible aux idées de Cantor, et qui a travaillé aux côtés de Werner Heisenberg à Berlin. On est en 1989 pour une partie du roman quand ce Gustav Links achève quarante ans d'incarcération et revient sur son passé. A l'issue du procès de Nuremberg, un lieutenant américain, Francis P. Bacon — qui est en fait un physicien qui a côtoyé von Neumann et Einstein à Princeton avant d'entrer dans les services secrets — dirige l'enquête pour déterminer l'identité de ce Klingsor. Avec l'aide de Gustav Links, l'officier américain multiplie les réunions avec les physiciens : à savoir Max Planck, Heisenberg bien sûr à Göttingen, Nils Bohr revenu au Danemark, Erwin Schrödinger exilé à Dublin. Il s'ensuit divers retours en arrière sur la vie de Bacon avant 1940, sur le passé de Gustav Links et ses contacts supposés avec des participants au complot contre Hitler qui échoua le 20 juillet 1944, ce qui provoqua une répression sanglante (évoquée dès l'incipit) mais qui épargna de justesse et Heisenberg et Links — ce qui évidemment fait d'eux des suspects. Si Klingsor a existé, d'autres services secrets sont sans doute intéressés par ces investigations et le professeur Links suspecte Irene, la petite amie allemande de Bacon, de faire partie d'un réseau d'espionnage russe : à ce moment du livre en est en 1947, c'est le début de la Guerre froide, et le soupçon est fondé.

 

 

Ce roman un peu difficile à suivre pourrait séduire les amateurs d'histoire des sciences vu que plusieurs protagonistes y discutent savamment des mystères de l'atome et de l'électron, et que les titres de divers chapitres (« lois de la mécanique narrative », « lois de la mécanique criminelle »,  « lois de la mécanique de la trahison ») veulent donner du piquant à la narration en plus d'un ordre chronologique fortement explosé qui réjouira les contempteurs du roman balzacien. En revanche, les amateurs de thriller risquent de rester sur leur faim, car dès le début de l'apparition d'Irene au côté de Bacon tout lecteur aura flairé l'espionne rivale. Le roman joue aussi avec l'intérêt porté à l'histoire du nazisme, en reprenant le complot dont Stauffenberg a été l'exécutant et la victime en 1944. Face à tant de gravité, seules les aventures amoureuses de Bacon et de Links donneront de la légèreté à cet épais roman.

 

On appréciera enfin le regard critique du narrateur retrouvant la liberté « à la fin de cette immense erreur connue sous le nom de XXe siècle... »

 

 

Jorge Volpi. À la recherche de Klingsor. Traduit de l'espagnol par Gabriel Iaculli. Points, 2008, 604 pages.

 

* Le nom même de Klingsor, un magicien, est emprunté à la mythologie germanique et se retrouve par exemple dans l'œuvre d'E.T.A. Hoffmann et celle d'Eschenbach, source du Parsifal de Richard Wagner dont il est fait mention dans le roman de Volpi .

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1900-2000, #SCIENCES ET TECHNIQUES, #NAZISME
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