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Même si Malaparte considère que le premier coup d’État moderne fut celui de Bonaparte le 18 Brumaire An VIII, c'est seulement à la sortie de la Première guerre mondiale que l'Europe a connu une situation révolutionnaire et que les coups d’État se sont multipliés. Qu'ils se soient soldés par le succès ou l'échec, ils ont intéressé l'écrivain italien Erich Suckert alias Curzio Malaparte. D'où cet essai paru en 1931 et devenu légendaire et interdit dans certains pays, puis brûlé en place publique sur ordre de Hitler. L'ouvrage a valu à l'auteur un succès international et aussi des complications avec Mussolini. La thèse générale de l'essai est que la manière de réussir ou d'empêcher une prise de pouvoir est indépendante des idéologies car elle est seulement une question technique.
Le point de départ se situe véritablement en 1917. La révolution russe triomphe rapidement du tsar mais le gouvernement provisoire piétine. Les bolcheviks vont prendre le pouvoir non pas par une seconde révolution mais par un coup d’État. C'est l'œuvre non pas de Lénine qui misait sur un soulèvement massif de la classe ouvrière mais de l'action subversive des Gardes rouges dirigés par Trotzky. Les élections au IIème Congrès des Soviets puis à la Constituante semblent perdues d'avance pour les bolcheviks et devoir être un raz-de-marée SR et Menchévik. Pendant que les troupes de Kérenski tiennent principalement les ministères, les commandos spécialisés du Comité Militaire Révolutionnaire sont envoyés par Trotzky s'emparer des centrales électriques, des gares, des centraux téléphoniques : bref de ce qui fait fonctionner une métropole moderne. Il ne reste plus à Antonov-Ovseïenko qu'à s'emparer des ministres restés au Palais d'Hiver. Lénine peut dès lors, à l'Institut Smolny, organiser son premier gouvernement et disperser les députés.
En 1927, quand le nouveau pouvoir fête ses dix ans à Moscou et que Trotzky cherche à évincer Staline, c'est l'impossibilité de prendre en mains l'organisation technique de la nouvelle capitale qui fait échouer la tentative de Trotzky : « il ne s'aperçoit que trop tard que ses adversaires ont su mettre à profit la leçon d'octobre 1917 » note Malaparte. Les hommes de Staline avaient su contrôler préventivement les centres nerveux de la capitale. L'appel au peuple dès lors fut sans effet et Trotzky dut prendre la route de l'exil. Mais revenons en arrière.
Fort de ces considérations sur la Russie de 1917 et 1927, l'auteur revient sur la situation de la Pologne en 1920 quand l'Armée rouge était près de s'emparer de Varsovie : les communistes locaux n'en profitèrent pas pour prendre le pouvoir, faute d'un « Catilina » comme il l'écrit. A plusieurs reprises en effet, Malaparte fait allusion à cet épisode de l'histoire romaine quand en 63 av. JC la conspiration de Catilina fut dénoncée par Cicéron. La même année 1920, c'est aussi à Berlin qu'un putsch rata, celui de Kapp et von Lüttwitz, parce que le gouvernement du chancelier Gustav Bauer invita les syndicats à se lancer dans une grève générale pour sauver la République.
Dans cet essai, le plus attendu est peut-être le chapitre consacré à la lutte pour le pouvoir entamée par Mussolini avant qu'elle n'aboutisse à la formation de son gouvernement le 30 octobre 1922. L'Italie avait été, selon Malaparte, bien près de connaître une conquête de l’État par l'extrême-gauche mais nul nouveau Catilina ne s'y trouva. On lit ensuite comment les faisceaux de Mussolini ont systématiquement combattu les syndicats et les partis de gauche, prenant d'assaut les Bourses du Travail, rendant impossible une résistance comme celle que Bauer avait obtenue en 1920 à Berlin. En s'assurant du contrôle de « l'organisation technique » des villes du pays (Pise, Livourne, Sienne, etc) par des assauts répétés et spectaculaires, et en terminant par la symbolique marche sur Rome, Mussolini avait été en somme un bon élève de Trotzky !
• Curzio Malaparte : Technique du coup d’État. - Traduit de l'italien par Juliette Bertrand. Bernard Grasset, 1931, puis 1966 et 1992 pour l'édition dans les Cahiers Rouges. 228 pages.