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« Les Allemands ne sont pas des Français qui parlent allemand ! » Contrairement au technocrate, le diplomate doit connaître la culture de l'Autre. C’est l’une des vérités premières du livre de l’ex-Secrétaire général du Quai d’Orsay, véritable plaidoyer pour la diplomatie française et tous ses acteurs sur le terrain, qui constituent le troisième réseau mondial de représentation. Alors que les crédits et les personnels ont été drastiquement réduits depuis trente ans et qu’une dernière “réforme” brisant le corps diplomatique a été lancée en 2022, provoquant en juin une courte mais historique grève des services du MAE, cet ouvrage démontre l’utilité et la variété du travail des diplomates, loin de se limiter comme certains le croient à de répétitives réceptions et à des ballets de limousines noires.

 

Sans écrire à proprement parler des mémoires, l’auteur revient sur les grandes étapes de sa carrière diplomatique depuis que le concours d’Orient lui a ouvert une carrière au service de l’Etat sous cinq présidents de la République. Parmi eux, Jacques Chirac occupe une place éminente dans son cœur; il l’avait servi comme sherpa et conseiller à l’Elysée, et c’est lui, l’amateur de sumo, qui en 1998 le nomma ambassadeur de France au Japon. Aussi les anecdotes concernant Chirac sont-elles assez nombreuses et je cite celle qui m’a le plus intéressé.

 

« C’est une anecdote que Jacques Chirac aimait à raconter. En 1978, alors qu’il était maire de Paris, il reçoit une lettre de Saddam Hussein lui disant qu’il a chez lui une personne du nom de Rouhollah Khomeiny, un ayatollah désireux de quitter l’Irak et hésitant entre deux destinations, Paris en Europe, et Tripoli au Maghreb. Le maître de Bagdad ajoute, à peu près en ces termes : “Je sais que vous avec accès au président Giscard d’Estaing, dites-lui de ne surtout pas accueillir Khomeiny en France”…» On connaît malheureusement la suite...

 

Quant aux ministres qui furent ses chefs, l’auteur que certains surnomment MGM n’hésite pas à livrer le nom de son préféré, Dominique de Villepin, qu’il accompagne en septembre 2003 à l’Assemblée générale des Nations-Unies. On se souvient que la voix de la France condamnait alors l’agression des Etats-Unis contre l’Irak, les dirigeants américains décidant sur la foi de fausses preuves de se débarrasser de Saddam Hussein, sans prendre en considération le risque de chaos qui en résulterait dans la région du Moyen-Orient.

 

Dominique de Villepin, Maurice Gourdault-Montagne, Jacques Chirac et Catherine Colonna alors porte-parole de l'Elysée, New York, ONU, septembre 2003. Source : cahier d'illustrations de l'ouvrage.

 

La critique de la politique étrangère des Etats-Unis revient comme un leitmotiv discret dans cet ouvrage qui survole les deux dernières décennies du XXe siècle et les deux premières du suivant. Il ne s’agit pas de déclin des Etats-Unis mais de choix parfois maladroits par méconnaissance de l’histoire des peuples et manque de concertation ou de respect de leurs partenaires — ainsi leur départ précipité de Kaboul décidé par Joe Biden ou auparavant l’abandon des Kurdes aussitôt tombé Daesch à Mossoul.

 

Dans sa carrière, Maurice Gourdault-Montagne fut ministre de France à Berlin, à Londres, à Pékin, à Tokyo, à Delhi. Il nous rappelle le choc en Europe de la fin de la RDA et le coût de l’unification allemande. Vu son expérience, les chapitres consacrés à l’Allemagne, à l’Angleterre, à la Chine, au Japon et à l’Inde fourmillent de remarques intéressantes, particulièrement à propos de ces deux derniers pays, peut-être parce que l’ambassadeur a acquis la maîtrise de la langue japonaise et de l’ourdou.

 

Devant la montée des régimes nationalistes et des régimes autocratiques, notre diplomate réaffirme son credo basé sur le dialogue et le multilatéralisme en dépit de réticences de certains pouvoirs oligarchiques et opaques comme en Algérie. Il demande aussi que la France se donne les moyens financiers de son ambition diplomatique « tant il est vrai que l’Otan ne peut être l’alibi de notre inaction et l’Union européenne, le paravent de notre impuissance.» Notre pays doit s’investir dans la francophonie et miser davantage sur son soft power. « Ainsi avons-nous plus que jamais besoin d’un plan d’accompagnement à moyen terme, qui prenne place dans une loi de programmation globale pour l’influence française à l’extérieur.» À ce prix la France pourra continuer de se présenter comme l’héritière des Lumières et de 1789, patrimoine aujourd’hui malmené par « l’offensive de l’idéologie woke ».

 

 

Maurice Gourdault-Montagne : Les autres ne pensent pas comme nous. Bouquins, coll. Mémoires. 2022, 390 pages.

 

Tag(s) : #HISTOIRE 1900-2000, #ACTUALITE, #FRANCE, #EUROPE, #DIPLOMATIE
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