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Alizée Delpierre a consacré plusieurs années à l’étude des relations entre les grandes fortunes et leurs domestiques. Il est rare qu’une thèse de sociologie concerne à la fois deux groupes sociaux. D’une part les aristocrates, héritiers d’une fortune familiale, médecins, avocats ; et les nouveaux riches tirant leur richesse du commerce ou de la finance. D’autre part leur domesticité très hiérarchisée : majordomes, gouvernantes et domestiques. L’auteure s’est faite embaucher comme nanny puis comme aide-cuisinière afin de mener une enquête immersive. Son observation participante lui a permis d’appréhender les rapports qu’entretiennent ces deux groupes. Entre « domination et affection » les domestiques ne quittent pas volontiers cette « cage dorée » malgré le poids des contraintes. Cet essai sociologique, nourri d’entretiens et nullement prétentieux, retient l’attention du lecteur.

 

À la différence des majordomes et des gouvernantes — hommes et femmes « blancs » —, les domestiques sont en majorité des femmes immigrées sans diplôme recrutées selon les stéréotypes racistes — les Arabes seraient bonnes cuisinières, les Ivoiriennes bonnes nounous — ; beaucoup ont laissé au pays époux et enfants. Elles sont reconnaissantes à leurs patrons de « vivre une vie de rêve » : ils les éduquent et elles se sentent « grandies » de les servir. Grâce au bouche à oreille plus qu’aux agences de placement spécialisées elles trouvent souvent des emplois à 2000 ou 3000 euros par mois et reçoivent de luxueux cadeaux de leurs employeurs, ce qui les rend redevables. Elles acquièrent un capital culturel et économique et peuvent assurer l’avenir de leurs enfants et se constituer un petit pactole. Être domestique représente pour elles une véritable ascension sociale et une possibilité de carrière.
 

Toutefois c’est une « exploitation dorée », entre don et contre-don. Les domestiques n’ont aucune vie personnelle et doivent rester en permanence disponibles pour satisfaire les désirs de leurs patrons. Souvent embauchées sans contrat, sans limites de leurs heures de travail, ou sans salaire fixe, il leur faut parfois subir les humiliations, le racisme, les agressions sexuelles de leurs patrons. Si le turn over est important dans ce secteur du personnel de maison, c’est en vue d’un poste mieux rémunéré mais, pour la plupart, sans quitter le monde des grandes fortunes.
 

Pour les ultra riches « se faire servir est un besoin, pas un confort », pour maintenir leur rang et consacrer leur temps à leurs activités. C’est un privilège de classe qu’ils tiennent à conserver. Certes il contournent la loi, ne déclarent pas la totalité des heures travaillées, ne remplissent aucun contrat de travail. Néanmoins ils gardent bonne conscience car «  ils créent de l’emploi pour celles et ceux qui auraient de toute façon du mal à trouver mieux ailleurs » ; et un emploi bien supérieur aux conditions de travail dans leur pays d’origine.

 

Malgré toutes les contraintes bien des femmes aspirent  à cette « exploitation dorée » ; de leur côté les riches ne peuvent se passer de leurs services. Entre « reconnaissance et amertume » ceux-ci demeurent pour elles leurs protecteurs et leur nouvelle famille.

 

• Alizée Delpierre : Servir les riches. La Découverte, 2022, 200 pages.

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #ESSAIS, #SCIENCES SOCIALES
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