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L'étonnant polar de José Carlos Somoza expédie son lecteur à Athènes à l'époque de Platon, de son Académie, et de son mythe de la Caverne. Dans l'entourage du philosophe, le poète Philotexte de Chersonèse a voulu écrire une histoire qui mette en scène les querelles intellectuelles que suscite la notion platonicienne de l'Idée. Avouez que de la part du romancier espagnol c'est assez fort !

 

Ce polar athénien est construit autour du personnage d'Héraclès Pontor, alias le Déchiffreur d'énigmes, un enquêteur évidemment très rationnel, qui n'écoute que son cerveau et ne croit que ce qu'il voit. Tramaque, un jeune homme sur le point de devenir éphèbe comme ses amis Antise et Eunio, est retrouvé mort à l'extérieur des murailles de la ville par des paysans. Ceux-ci prétendent que le jeune homme a été victime d'une meute de loups. Mentor de ces jeunes gens à l'Académie, Diagoras vient solliciter les services d’Héraclès et les deux hommes se retrouvent à mener ensemble l'enquête qui, au début semble assez plate. Après la mort des deux camarades de Tramaque, Héraclès est convaincu de la culpabilité de Ménechme, un sculpteur qui les a pris comme modèles et se serait livré avec eux à certaines débauches, suscitant jalousie, querelles et meurtres. Accompagné de Diagoras, Héraclès est allé au Pirée questionner une hétaïre, la trop belle Yasintra, dont Tramaque était le client. Ils ont aussi assisté à la représentation secrète d'une tragédie écrite par le sculpteur, où malgré leurs masques Diagoras put reconnaître deux des acteurs. Choqué de la conduite de ses grands élèves, Diagoras reste pourtant persuadé qu'il n'y a pas meilleure éducation que celle que l'on donne à l 'Académie, enceinte sacrée de la Raison, du Beau et du Vrai.

 

Mais les certitudes d'Héraclès vont vaciller. L'image qu'il avait de la mère de Tramaque se révèle fausse. La confiance qu'il portait à son esclave dévouée — et masquée — ne vaut plus : elle a tenté de l'assassiner. Le refuge qu'il a accordé à Yasintra se change en piège. La joie de retrouver en Crantor un ancien ami, un peu fruste quand même, se change en combat avec son pire ennemi. Héraclès devra reconnaître que le monde autour de lui n'est pas sous l'empire de la raison et de la mesure mais de la déraison, du plaisir des sens, de l'hybris et jusqu'au sacrifice pour une secte mystique.

 

 

L'autre dimension du roman se cache dans les notes du traducteur. Non pas de Marianne Millon la traductrice de l'œuvre de Somoza, mais d'un traducteur qui fait partie de la fiction. En effet, entre l'exergue citant Platon, et le premier chapitre, le lecteur a été bizarrement averti que « Toutes les notes du traducteur sont de l'auteur ». Il devra comprendre que ces notes abondantes créent un second roman dans le roman. Le Traducteur, appelons-le ainsi, croit reconnaître une figure de style qu'il attribue aux anciens auteurs grecs, l'eidesis, qui consiste en indices sans rapport avec la narration du roman, mais suggèrent au lecteur une autre histoire : ici les douze travaux d'Hercule, et en effet Héraclès n'est pas au bout de ses peines. Mais ces notes de bas de page font aussi du Traducteur un personnage à part entière du roman, puisqu'il est en train de traduire La Caverne des Idées sous le contrôle de Montalo, l'éditeur du texte, qui est lui-même à la recherche du sens caché de l'œuvre de Philotexte dont il n'est en fait qu'un personnage ! Bravo à J. C. Somoza pour ce pétillant thriller à la grecque.

 

 

• José Carlos Somoza. La caverne des idées. Traduit de l'espagnol par Marianne Millon. Actes Sud, 2002, 345 pages dans l'édition Babel.

 

Du même auteur, Tétraméron.

 

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE
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