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Voici un roman d'autant plus envoûtant que le doute en constitue le cœur. En plongeant dans la conscience des personnages, en recourant au conditionnel, Marie Ndiaye y confronte le lecteur. Non dits, silences et contradictions excluent toute certitude : l'auteur invite le lecteur à mener lui-même cette enquête, à ouvrir cet improbable dossier.

 

Issue d'un milieu modeste, Maître Susane, a ouvert à Bordeaux son cabinet d'avocat ; les débuts sont difficiles jusqu'au jour où Gilles Principaux vient lui demander de prendre la défense de sa femme Marlyne qui vient d'assassiner leurs trois enfants. Cette rencontre la trouble car elle fait resurgir un étrange souvenir vieux de trente ans. Alors âgée de dix ans elle avait accompagné sa mère repasseuse chez des « Principaux » à Caudéran. Gilles, le fils, avait alors seize ans... et « aurait été l'adolescent dont elle s'était éprise à jamais ». Il l'aurait éduquée, éblouie, violée peut-être ?

 

Pourtant « il ne lui avait rien fait à quoi elle n'eut consenti ». « Je suis devenue bizarre à l'âge de dix ans » se dit Maître Susane. Mais sa mémoire reste confuse. Elle interroge sa mère qui semble avoir oublié cette visite ou qui se refuse à révéler ce qu'elle sait. Ce souvenir la taraude, revient en leitmotiv en italiques « Qui était Gilles Principaux pour elle? » Il la trouble jusqu'à la faire tomber sur le verglas, jusqu'à provoquer une étrange maladie de faiblesse. L'avocate se souvient de s'être souvent promis, guidée par ses rêves, de se venger de « l'offense qu'à son réveil elle n'était plus certaine d'avoir subie », profitant ainsi « d'une justice bien supérieure à celle de la société ». Sa vengeance lui appartiendrait. Mais que s'était-il passé en réalité ? Et pourquoi G. Principaux l'avait-il choisie ?

 

Maître Susane vit dans le mal être aussi avec Sharon, cette mauricienne sans papiers qu'elle emploie non par nécessité mais « par militantisme ». Elle fera tout pour lui obtenir un titre de séjour. Pourtant Sharon la déteste pour son mode de vie bohème. Les non-dits là aussi....

Mais l'affaire Principaux sera sa première plaidoirie et l'avocate cherche à comprendre le mobile de cette mère tueuse. Marie Ndiaye donne aux déclarations des époux la force confuse de logorrhées ponctuées de « mais » pour l'une, de « car » pour l'autre, où se mêlent contradictions et incertitudes. Aucun des deux n'en veut à l'autre. Gilles prétend ne pouvoir haïr sa femme, « héroïne ténébreuse » « démente à sa manière » et ne se montre guère affecté par la disparition de ses enfants. Il semble, en outre, n'avoir gardé aucun souvenir de Maître Susane enfant... Marlyne, elle, refuse d'être défendue. Elle aurait accompli son acte victime d'une « malédiction » : elle aurait toujours su que ses enfants mourraient et n'aurait été que le bras de leur exécution. Elle se veut désormais « libre et atrocement coupable » car « c'est enfin arrivé ».

 

Qui croire ? L'avocate elle-même, lors du procès, restera dans le doute car aucune version des faits n'apparaît fiable. La vengeance appartient bien à Marlyne ! L'avocate, elle, reste rongée par l'incertitude : ce G. Principaux est-il celui de son souvenir ? Y a-t-il eu ravissement ou rapt ? Avec ce roman fascinant jusqu'à la dernière page Marie Ndiaye confirme sa puissance de composition, sa force d'écriture charnue et ensorcelante.

 

• Marie NDiaye. La vengeance m'appartient. Gallimard, 2021, 231 pages.

 

Chroniqué par Kate

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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