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C'est l'examen de conscience d'un intellectuel qui a applaudi à la perestroïka et à la chute du système soviétique, qui a profité — sans doute moins que d'autres — de l'enrichissement que le capitalisme a apporté en Russie, et qui ne comprend pas qu'aujourd'hui la politique de son pays en soit venue à se nourrir des maléfices perpétrés dans le Caucase et en Ukraine. « Qu'ai-je donc fait pour mériter ça? pour mériter un pays aussi pourri ? » se demande le narrateur à la veille de se rendre sur les lieux d'une prise d'otages.

 

Avant d'en arriver à ces réflexions, le roman débute en effet comme un thriller. Pavel Volodine, journaliste dans un média qui l'avait envoyé en 1996 couvrir l'actualité en Tchétchénie, découvre en regardant les informations à la télévision, qu'un terroriste qu'il reconnaît a pris en otages les fidèles réunis dans une église et le demande comme négociateur car les deux hommes s'étaient connus dans le Caucase et s'étaient fait confiance.

 

Narrateur de ce roman tout en tension, Pavel ne fait pas que livrer son portrait en racontant son vécu. À travers l'intrigue, il y a assez de personnages convoqués pour rendre présente la société russe dans sa diversité, et suffisamment d'événements pour revivre l'histoire du pays après l'effondrement du système soviétique. Les agents des forces de sécurité, le clergé revigoré depuis que Gorbatchev a fêté le millénaire de l'Eglise russe, les hommes des médias, les affairistes : Mikhaïl Chevelev décrit avec justesse ses contemporains. Mais un homme complexe est au milieu de tout : Vadim, que le narrateur a libéré jadis des griffes des Tchétchènes, celui-là même qui est devenu terroriste à son tour bien des années plus tard.

 

Accompagné d'une bande de têtes brûlées ukrainiennes, Vadim Petrovitch Sereguine a traversé le front du Donbass et s'est fait preneur d'otages dans l'église d'un village en grande banlieue de Moscou, là où jadis Pavel l'avait emmené pour une fête entre potes. D'abord, la personnalité de Vadim lui parut simple. « Vadim était comme un chien abandonné que nous avions recueilli ». Jeune soldat arraché de sa province par l'armée qui l'a expédié en Tchétchénie en 1996, il est issu d'un milieu très défavorisé et on le présente longtemps comme un être un peu simplet. Mais au fil des événements — que je me garderai bien de détailler ! — le personnage apparaît à la fois retors et candide, violent et pacifique, mais avec une idée force : l'idée de justice. Pour libérer sa centaine d'otages, Vadim formule une exigence assez incroyable. Evidemment ça ne marche pas. C'est comme la démocratie en Russie.

 

Si Eltsine et Poutine sont désignés en tant que coupables de la dérive qui a emporté le pays, la responsabilité des événements repose, selon le narrateur, sur les citoyens eux-mêmes qui ont fermé les yeux ou regardé ailleurs, sur la presse qui s'est décrédibilisée, sur une trahison des élites, etc... On a accepté cela, et puis cela encore… Comme le conclut la célèbre romancière Ludmila Oulitskaïa dans une courte postface « Le mal engendre le mal. D'un moindre mal naît un mal plus grand, et cette escalade n'a pas de fin. » La lecture de ce roman époustouflant est un bonheur trop bref en même temps qu'une leçon morale et politique !

 

• Mikhaïl Chevelev. Une suite d'événements. Traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs. Gallimard, 2021, 167 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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