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Quelques années avant de se voir décerner le prix Nobel de littérature, Ivan Bounine, né à Voronej en 1870, exilé en France dès 1920, a publié ce recueil de nouvelles sur le thème de la Nuit, et qui se termine effectivement par une brillante méditation nocturne oscillant entre la rêverie et une métaphysique inspirée du bouddhisme. La nuit sert à tout dans ce recueil : elle commence par la rencontre, sur le pont d'un bateau en mer Noire, de deux hommes qui ont connu la même femme aujourd'hui disparue (En mer). Mais dans une majorité de cas, Ivan Bounine l'utilise pour situer ses histoires dans une campagne russe encore traditionnelle : c'est le monde paysan d'avant la révolution bolchevique. Parfois très concis, les portraits psychologiques dominent et les descriptions de la vie provinciale sont bien vivantes, de jour comme de nuit.

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La nuit tout est possible. Le meilleur comme le pire. En fait c'est surtout le pire qui peut arriver aux personnages de Bounine.

Méprisé par beaucoup, Ermil a trouvé refuge dans une vieille isba au cœur de la forêt et du fond de sa solitude il concocte l'assassinat de qui viendrait le déranger durant la nuit, même avec un masque de fête (La forêt).

Pendant une veillée chez un propriétaire terrien, Ilia, le sellier qui est venu travailler tout un mois au domaine, est amené à raconter comment, par une nuit de brume très dense, il ne put empêcher son fils de mourir de froid, le père et le fils s'étant égarés loin du village (La brume).

Ruiné, Voïéikov a été contraint de vendre son domaine, tout a été vidé. Plein de rancœur il attend l'acheteur annoncé pour la fin de la journée. Au marchand Rostovtzeff il ne veut rien laisser, ni les papiers peints qu'il déchire, ni les chiens de la meute qu'il fait pendre pour marquer sa déconfiture (Le dernier jour).

Averki est un ouvrier agricole qui se sent au bout du rouleau mais il ne parvient pas à retrouver les éléments marquants de sa vie (Le coq sacrifié).

Vieux serviteur fidèle, Arsénitch vient comme chaque année saluer ses anciens employeurs ; en marge d'une fête, un soir, les jeunes Mitia et Vadia se font raconter par lui l'histoire de quelques figures de la tradition orthodoxe (Les saints).

Un narrateur non précisé énumère des figures connues et joviales tel le moujik Boroda qui attirait des admiratrices comme s'il était « un homme de Dieu », ou d'hallucinés comme Kirioucha « qui se rue dans l'église et fonce à travers la foule droit vers l'autel en beuglant comme une vache » le jour de la Trinité, sans oublier ce Danilouchka qui voulait « faire flamber tout Kolomna » (La gloire).

Adam Sokolovitch, « habitué de tous les bouges, de Cronstadt à Montevideo », arpente la Perspective Nevski, fait étape dans un café pour boire du « cognac caucasien » avec deux marins, et finalement va passer la nuit avec une prostituée (Un Crime).

Quant au riche paysan Avdéi, il quitte sa ferme juste avant la tombée de la nuit pour aller vendre un bélier à la ville ; mais il ne cesse de s'inquiéter : « Le bonheur est aux idiots. Ils ne se soucient de rien, eux ! » pense-t-il (Avdéi le Soucieux).

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Voilà donc une galerie de gens pittoresques, pris dans des situations ordinaires, celles de leur vie quotidienne, et que leur absence de culture érudite n'empêche pas de s'interroger sur les grands mystères de la vie, ni d'émettre des jugements définitifs sur leurs semblables. Le narrateur de La Gloire s'en explique comme s'il assumait le point de vue de l'écrivain : « je voulais montrer que nous autres, Russes, nous avons depuis toujours une vénération pour les coquins et les dégénérés… » On ne doute pas que Bounine nous montre ses personnages avec tendresse et un certain humour.

 

• Ivan Bounine: La Nuit. Traduit par Boris de Schlœzer en 1929. Editions des Syrtes, 2000, 180 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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