Voilà bientôt soixante ans que Gérard Philipe est décédé...
Jérôme Garcin célèbre sa mémoire dans ce récit biographique qu’il dédie à son épouse, Anne-Marie, la fille de l’acteur disparu à la veille de ses trente-sept ans. Une tonalité tragique ombre l’évocation, jour après jour, de la vaine lutte de Gérard Philipe contre la mort ; une tonalité plus lumineuse éclaire les temps forts de sa vie.
Sans pathos ni mélodrame, J. Garcin reconstitue l’évolution de la maladie, depuis l’opération d’un soi-disant abcès amibien au foie jusqu’à la découverte d’un cancer rare et fulgurant. Même convalescent Gérard Philipe envisageait de jouer Edmond Dantès dans Le Comte de Monte-Cristo alors qu’il ne lui restait que « le temps d’un soupir », titre du livre d’Anne, son épouse, paru en 1963. Jérôme Garcin lui emprunte cette question au chirurgien : « Vous ne pouvez pas faire qu’il ne se réveille plus puisqu’il dort encore ? – Non madame ». Alors, « il est fichu mais je veux qu’il l’ignore ». Jusqu’à l’embolie qui l’emporta, seul dans l’appartement rue de Tournon au matin du 25 novembre, Gérard Philipe, malgré l’épuisement et les souffrances a tenu à « attendre et espérer ». Ironie du sort, il avait lancé en 1954, un appel aux dons pour lutter contre le cancer.
Car cet « homme pressé, insatiable, vibrionnant » était un homme engagé. Dans les FFI pendant la seconde guerre mondiale, admirateur de Lénine, il avait foi dans le socialisme et « n’était pas indifférent à la souffrance des hommes ». S’il a préféré jouer au TNP plutôt qu’à la Comédie Française c’était pout offrir l’art théâtral aux plus défavorisés. Il avait fondé le Syndicat Français des Acteurs afin d’améliorer les conditions de vie des précaires, les intermittents du spectacle.
On croise au fil des pages bien des célébrités de l’époque qui côtoyèrent Gérard Philipe ; mais aussi ceux qui comptèrent pour lui : Gérard Le Roy, son professeur au cours d’Art Dramatique, et Jean Vilar, le fondateur du TNP, un « père, un directeur de conscience ». La « soif de vivre et d’entreprendre » habitait cet acteur lumineux, toujours dans l’urgence, comme s’il avait pressenti que brève serait sa vie...
Cet essai donne à revisiter cette fin des années 1950, ses conflits et ses promesses. Il permet surtout de découvrir cet « éternel jeune homme » derrière les rôles ; et suscite l’envie de le revoir jouer Le Cid, qui restera emblématique de sa carrière, et dont le costume l’accompagna dans l’au-delà.
• Jérôme Garcin : Le dernier hiver du Cid. Gallimard, 2019, 197 pages.
Chroniqué par Kate