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Le 27 septembre 1965, à Buenos Aires, des braqueurs subtilisèrent un demi-million de dollars aux employés municipaux sortant de la Banque de la Province. Les voyous — « des venimeux » — commirent alors plusieurs meurtres et prirent la fuite dans une Studebaker volée. Ils réussirent à se planquer mais quand les journaux annoncèrent les premiers progrès de l'enquête menée par le commissaire Silva, ils passèrent la frontière. Quelques semaines plus tard, les trois derniers fuyards se retrouvèrent coincés dans une souricière, un appartement de Montevideo, où ils résistèrent seize heures durant à la police — trois cents hommes !— , tuant de nombreux assaillants, et n'hésitant pas à se livrer à une provocation suprême : jeter les billets en flammes par les fenêtres de l'appartement... Un seul voyou sortit vivant du siège, et quoique lynché par les voisins, il survécut assez pour être extradé vers l'Argentine où il mourut assassiné en prison : c'était Dorda dit Gaucho Blond. Les deux autres gangsters, Brignone dit Bébé et Mereles dit le Corbeau avaient été tués durant le siège. Cependant le chef de la bande, Malito, ne sera pas retrouvé.

Comme l'affaire se passe en 1965, durant l'exil madrilène du général Peron, certains des malfrats que l'on croise dans ce récit sont des activistes qui conspirent pour préparer son retour au pouvoir. On croit comprendre que le parti justicialiste (péroniste) entretenait des relations aussi bien avec des syndicalistes et des militaires, que des néo-nazis et des hommes du milieu, capables d'amasser un trésor de guerre grâce à des complicités dans la police et l'administration municipale.

Argent brûlé” ne se présente pas comme un polar classique et l'auteur, Ricardo Piglia, n'est pas spécialiste de ce genre. Au cours d'un long voyage en train, le hasard voulut qu'il reçoive les confidences de Blanca, qui se présenta à lui comme l'ancienne maîtresse du chauffeur du gang. Intéressé, Piglia prit des notes, et les oublia. Trente ans plus tard, il en fit ce récit très réaliste et extrêmement documenté en s'appuyant sur de nombreux témoignages, sur la presse, et sur les archives policières.

Le récit du siège s'étend sur la seconde moitié du livre et constitue un huis clos haletant. Une autre originalité de la composition du livre, déterminante au plan littéraire, tient à la manière dont l'écrivain fait usage de sa documentation. Au lieu de commencer par présenter d'un coup ses personnages, il livre très progressivement les résultats de son enquête, soulignant ainsi le suspense. De cette façon c'est pratiquement jusqu'à la dernière page qu'on voit prendre forme et s'étoffer le caractère et le passé des personnages. Dorda et Bébé, pour ne prendre qu'eux, avaient été de jeunes délinquants. Ils s'étaient connus en maison de correction. Assassin d'un paysan et d'une prostituée, Dorda avait connu la prison et l'asile psychiatrique où le Dr Bunge avait essayé de nombreux traitements, mais son malade entendrait toujours des voix. Dorda et les autres aliénés avaient été libérés... par un fou armé de ciseaux. Puis Bébé et Gaucho s'étaient retrouvés par hasard dans une gare de Buenos Aires pour ne plus se quitter. Le hasard, décidément...

Ricardo Piglia. Argent brûlé. Traduit par F.-M. Durazzo. André Dimanche éditeur, Marseille, 2001. (Plata quemada, 1997). Réédité chez Zulma, 2010.

 

Tag(s) : #AMERIQUE LATINE, #ARGENTINE, #LITTERATURE ESPAGNOLE
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