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 Deux personnages principaux dans ce roman : Nathan Golshem et Djennifer Goranidzé « une des reines du dortoir ouest ». Chaque année, à l'automne, elle passe la frontière pour aller accomplir son devoir conjugal : se recueillir sur la tombe de Nathan, danser longuement et le faire revivre.

 

• Intercalés dans l'ensemble du texte, douze brefs chapitres montrent Djennifer qui danse en évoquant le passé commun, par fidélité. Et deux ou trois fois j'ai rencontré le mot « bonheur » — chose assez incroyable quand on lit Volodine ! Que le lecteur de cette notule ne se fasse pas d'illusions : l'action se passe dans un terrain d'épandage de déchets, Djennifer est vêtue de haillons, et dans la tombe divers objets ont été regroupés en lieu et place du corps de Nathan que la police ou l'armée avait jeté dans cette décharge publique. Djennifer s'est construit une hutte pour la durée de son séjour, et elle danse.

« Elle tape neuf fois cent onze fois, puis de nouveau dix-sept fois cent onze fois, jusqu'à ce que ses plantes de pied soient brûlantes. Elle tape jusqu'à ce que la terre réponde. Au début, elle sent la dureté du sol contre sa peau, puis, après un moment, elle sent l'écho des caillasses et des détritus mêlés en dessous d'elle, puis elle sent l'écho des profondeurs directement dans son bassin et dans sa colonne vertébrale, et, quand elle a frappé encore mille neuf cent soixante-dix-sept fois, elle reçoit des paroles rythmées au coeur de la tête. Alors elle danse sans plus compter les pas. »

Elle parle aussi. « C'est bien moi, Nathan Golshem. Je suis là. J'ai tout traversé et je suis là. Cette année encore. Je suis revenue. Il n'y a plus à avoir peur. » Elle lui dit aussi : « Raconte ta peur. »

Et donc, en dehors de ces cérémonies secrètes, Nathan se fait narrateur de ses propres aventures — que la voix du narrateur passe du « nous » au « je » ou que le récit soit repris à la troisième personne du singulier, peu importe—. « Nathan Golshem séjourna vingt-quatre heures dans la cellule 1286 sans manger ni boire, puis son interrogatoire commença. Il n'avait pas prévu de leur dire qui il était en réalité, quelle fonction il occupait dans l'Organisation... » Aussi, malgré les coups, il va s'obstiner, prétendre « qu'il s'appelait Gurbal Bratichko et qu'il gagnait péniblement sa vie en tant que conteur itinérant et artiste de foire…»

• Ainsi naît tout un monde de mendiants pas orgueilleux, de révolutionnaires endurcis, de “loosers” et de clochards lunaires aux noms impossibles. Voici Nathan Bratichko le chef qui « après de savants calculs astrologiques et socio-économiques » choisit les cibles que l'Organisation devait attaquer. Voici Badourman Grompfel « fier de figurer sur une liste de terroristes » qui conserve sur lui l'affiche où sa tête est mise à prix pour seulement un dollar, ce qui ne l'empêche pas de tenir « un discours véhément sur la géostratégie des vingt dernières années ». Et puis Adamovna sortie du camp de rééducation « un peu étourdie et gavée de visions propagandistes extrêmement bizarres ». Ou encore William Sorg « un de nos assassins préférés, pour ne pas dire le meilleur d'entre nous ». Citons enfin Lala Azariya car « elle avait toujours représenté un idéal féminin du ghetto » !

C'est un monde miséreux, réprimé, chaotique, et ruiné par les guerres que le monde imaginaire de Lutz Bassmann. Mais tous sont fiers de résister ! On se cache dans des bunkers déclassés, des souterrains infâmes, on contracte d'improbables maladies : tel « le rictus de Viatcheslav », « la bakéliose de Kramm » ou « le clash de Penderecki ». Il faut imaginer un auteur tout heureux d'inventer cette liste de maladies (pages 111-112) qui verse dans l'humour potache. Elle fait écho à la liste des batailles perdues (pages 52-56) — « nous avons perdu la guerre des souterrains, nous avons perdu la guerre de la boue, nous avons perdu la guerre du Kanal » et même ce définitif : « nous avons perdu toutes les guerres depuis l'âge des cavernes ». Plus longue encore (pages 177-185), la liste des « chefs d'accusation destinée à les mettre en rage et à nous faire rire » qu'imagine Nathan Golshem au sortir de l'interrogatoire quand il croit être libéré pour toujours des bourreaux qu'il a « exaspéré en leur racontant des histoires à la manière de Gurbal Bratichko ». Les griefs sérieux sont empilés avec les comiques et délirants : « intelligence avec les fourmis » et « vol plané en réunion » sont au nombre de mes préférés. Bref un livre excellent et qui marque le lecteur, comme attiré par quelque magnétismse magique.

• Lutz Bassmann. Danse avec Nathan Golshem. Verdier éd., 2012, 185 pages.

NB. Lutz Bassmann fait partie du collectif d'auteurs imaginaires créés par Antoine Volodine, avec Manuela Draeger et Elli Kronauer (sous réserve d'autres hétéronymes...)

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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