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Depuis la doctrine formulée en 1823 par le président Monroe, Washington a tendance à prendre Amérique centrale pour son arrière-cour. Avec la Guerre froide, cette tendance se renforce et le président du Guatemala Jacobo Arbenz un réformiste démocratiquement élu en fait les frais, accusé par la CIA de faire le lit du communisme. C'est ce que démontre Mario Vargas Llosa dans ce roman politique composé de manière à éviter une plate chronologie.
• La démission du président Arbenz en juin1954 est le résultat d'une longue guérilla politique de la part du trust de la banane, United Fruit Company, qui n'a guère eu de difficultés à infléchir les autorités de Washington pour les pousser à liquider la réforme agraire qu'il a lancée avec le Décret 900 et qui se limite à transférer aux paysans indiens les terres laissées à l'abandon par les grands propriétaires dont United Fruit. Les frères John Foster et Allan Dulles respectivement Secrétaire d’État et directeur de la CIA sont également actionnaires du trust bananier. Celui-ci a su utiliser les conseils du maître de la propagande, Edward Bernays, pour faire croire à un danger communiste pressant au Guatemala, idée relayée par les grands médias américains — comme quoi les fake news ne sont pas l'invention de Donald Trump.
En 1953 Washington passe à l'action en envoyant au Guatemala un ambassadeur de choc, John Peurifoy, précédé par la renommée de ses exploits anticommunistes en Grèce. De manière peu diplomatique, il présente à Arbenz une longue liste de communistes (réels ou imaginaires) à éliminer, dans l'esprit du maccarthysme. La détermination du président Arbenz suscite rapidement une multitude de difficultés y compris de la part du clergé catholique. Surtout de nombreux officiers de la petite armée guatémaltèque conduits par le colonel Castillo Armas écoutent les sirènes yankees pourvoyeuses de dollars et d'armes. Pour plus d'efficacité la CIA recrute des mercenaires, les entraîne dans le pays voisin, et envoie quelques avions bombarder des sites civils et des cibles militaires jusqu'au cœur de la capitale, créant la panique dans la population, et la préparant à accepter un régime militaire.
• La thèse de Mario Vargas Llosa est que cette ingérence états-unienne dans les affaires du Guatemala en provoquant la victoire de Castillo Armas sur Jacobo Arbenz a été totalement contre-productive, aggravant les tensions, même si Castillo Armas n'a pas duré longtemps. Depuis la chute du général Ubico Castañeda lors de la Révolution d'octobre 1944, les Guatémaltèques avaient eu des visées d'indépendance; ainsi au temps du président Juan José Arévalo, le colonel Arana avait organisé la Légion des Caraïbes en faveur de mouvements progressistes, sans craindre d'irriter Washington — qui avait néanmoins répondu par des mesures de blocus rendant très difficile l'armement du Guatemala.
« Tout compte fait, l'intervention américaine au Guatemala a retardé la démocratisation du continent pour des dizaines d'années et a provoqué des milliers de morts en contribuant à populariser le mythe de la révolution armée et le socialisme dans toute l'Amérique latine » conclut Vargas Llosa.
• Très vite, malgré sa victoire sur Arbenz et sur le communisme, Carlos Castillo Armas déplait à ses parrains de Washington, ainsi qu'au dictateur dominicain Trujillo. Il faut donc passer à... l'étape suivante. Pour donner du piment à cette histoire, Vargas Llosa recrute la belle miss Guatemala, fille d'un médecin de la capitale. En 1949, Martita, déjà enceinte à la fête de ses quinze ans, est forcée d'épouser un collègue de son père. Personnage romanesque et qui choque la bonne société catholique, elle décide de devenir la maîtresse du président Castillo Armas. Mais en même temps cette personne se trouve être impliquée de façon involontaire dans l'assassinat du dictateur après avoir invité chez elle Johnny Abbes Garcia, l'homme de main de Trujillo — voir La Fête au bouc — qui est venu au Guatemala pour organiser la liquidation de Castillo Armas. Martita, Johnny et quelques autres devront quitter le Guatemala au plus vite, direction San Salvador dans un premier temps. Le roman et la réalité historique ont prévu une fin tragique tant pour Abbes Garcia que pour Peurifoy.
Vargas Llosa s'est documenté sur place au Guatemala en dépouillant la presse, il a su aussi donner vie aux magouilles des officiers putschistes comme aux manigances des conspirateurs et des agents secrets. Mais on peut regretter que le paysage social et géographique de ce pays d'Amérique centrale soit trop peu présent dans cette œuvre qui s'inscrit en définitive dans la longue série des romans sur les dictatures latino-américaines.
• Mario Vargas Llosa : Temps sauvages. Traduit par Albert Bensoussan et Daniel Lefort. Gallimard, 2021, 382 pages. [Tiempos Recios, 2019].