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Vers la fin des années 1500, la peinture européenne est dominée par les Flamands au Boudier V.nord et les Italiens au sud. Les premiers se sont déjà signalés par des représentations de fleurs, de fruits, de scènes de marché, de scènes de cuisine, notamment dues à Pieter Aertsen et à son neveu Joachim Beuckelaer. Passant les Alpes en suivant les routes du commerce, leur influence se retrouve autour de 1580 sur le marché de l'art en Italie du Nord. Valérie Boudier, historienne de l'art et docteure de l'EHESS, analyse la production d'un trio de peintres — Vincenzo Campi, Bartolomeo Passarotti, et Annibale Carracci — tout en réfléchissant aux curieuses innovations que présentent ces scènes de genre, comme on dit faute de mieux pour désigner ces vraies-fausses natures mortes accompagnées de personnages populaires, en rupture avec la tradition de la belle manière définie depuis des décennies, le "modèle albertien" (De pictura, 1435). Le livre est accompagné des illustrations nécessaires.

L'influence des Flamands ne s'est heureusement pas traduite par leur simple copie. Si des productions de ces artistes ont été diffusées en Italie, les scènes religieuses de l'arrière-plan ont disparu dans les œuvres que les Italiens que j'ai cités produisent autour de 1580. Pierre Aertsen comme Joachim Beuckelaer ont traité le thème du  " Christ chez Marthe et Marie " en plaçant au premier plan des scènes de cuisine et notamment des viandes. Les Italiens développent ces scènes de cuisine et font disparaître les scènes religieuses de l'arrière-plan.

La Cuisine

Vincenzo CAMPI, Cuisine, vers 1580, huile sur toile, 145 x 220 cm, Milan, Pinacoteca di Brera

Le choix d'un fond neutre ou noir en est le moyen et en conséquence la construction de la perspective y perd son intérêt. Si Vincenzo Campi utilise encore des lointains pour sa " Fruitière " ou sa " Poissonnière ", il les abandonne pour ses " Mangeurs de ricotta ". La profondeur du tableau disparaît même avec les " Poissonniers " de Bartolomeo Passarotti (ci-dessous) ou les " Bouchers " d'Annibale Carracci. En même temps le sujet s'organise parallèlement au fond du tableau : on a tout sous les yeux.

Les poissonniers - Palazzo Barberini - (grand)

Bartolomeo Passerotti, Poissonniers, vers 1580, huile sur toile, 112 x 152 cm, Rome, Galleria Nazionale, Palazzo Barberini

Ceci ne signifie pas pour autant la facilité pour le spectateur. Ces œuvres sont riches de détails puisque les étalages de fruits, de légumes, de poissons, de crustacés, de coquillages, de volailles, de quartiers et d'abats de viande encouragent la recherche minutieuse. Ce qui conduit à se poser des questions. Pourquoi ces moules ou ces pêches ? Pourquoi ce poisson peint dans cette position bizarre ? L'auteur nous tient la main pour découvrir de nombreuses étrangetés et en particulier des allusions sexuelles pas tout à fait explicites que le visiteur du musée un peu pressé n'aurait jamais vues. En se fondant aussi sur la littérature savante et populaire de l'Italie de la fin du Cinquecento, ainsi que sur des gravures très parlantes, telles les illustrations du livre du cuisinier Bartolomeo Scappi (Venise, 1570), l'historienne montre comment la représentation de la nourriture nous éloigne du simple étalage des marchés flamands, comment la cuisine est un monde en soi où coexistent hommes et femmes, aliments variés et matériels complexes. Presque une sorte d'atelier d'alchimiste ! Et puis, après une période de relâchement des mœurs, le mangeur du Cinquecento finissant suscite la réprobation des défenseurs zélés de la Réforme catholique : gare à la chair comme à la chère. La viande de boucherie chère à " Bologne la grasse " n'est consommable que bien peu de jours par an quand l'Eglise relance les contraintes des jours maigres. Tandis que l'Italie gastronomique s'est déjà inscrite dans les textes qui évoquent gnocchis, macaronis, lasagnes et pizzas, la peinture profane du XVIIe siècle accumulera désormais les natures mortes et les scènes villageoises.

Carracci---Les-Bouchers--La-Macelleria---Oxford--Christ-ch.jpegAnnibale Carracci, Boucherie, vers 1582-3, huile sur toile, 185 x 266 cm, Oxford, Christ Church Picture Gallery

Valérie BOUDIER  -  La cuisine du peintre. Scène de genre et nourriture au Cinquecento. - Presses Universitaires François-Rabelais / Presses Universitaires de Rennes, 2010, 365 pages.

 

 

Tag(s) : #BEAUX ARTS, #CINQUECENTO, #CUISINE
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