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Il est bien connu que les nazis une fois arrivés au pouvoir ont organisé une retentissante exposition contre les œuvres des peintres d'avant-garde qu'ils ont qualifiées d'art dégénéré (Entartete Kunst). Le philosophe et critique d'art Philippe Sers a mené son investigation pour comprendre les raisons de ce rejet de l'avant-garde radicale par Hitler (et accessoirement par Staline) et il développe l'idée que l'avant-garde radicale est un vrai pôle de résistance au totalitarisme en général en plus du christianisme et de la judéité.

 

Il convient de considérer d'abord les choix esthétiques d'Adolf Hitler. Le futur dictateur a opté dès sa jeunesse pour l'imitation de l'art grec antique aux imposantes colonnades. Lui-même s'est essayé à peindre les monuments de Vienne mais sans représenter la personne humaine, incapacité qui serait la cause de son double échec à l'admission aux Beaux-Arts. Or les avant-gardes tournent le dos à cette tradition occidentale inspirée par la Grèce et reprise par les écoles issues de la Renaissance. De plus, la place des artistes juifs dans ces avant-gardes est assez remarquable à cette époque alors qu'Hitler s'est d'emblée caractérisé par sa pulsion antisémite.

 

Justement, Philippe Sers s'est fait le spécialiste de nombreux artistes représentatifs de cette avant-garde radicale qui a prospéré dans la première moitié du XXe siècle, parallèlement aux totalitarismes. Les artistes principalement considérés dans ces essais sont trois plasticiens : Wassily Kandinsky, Marcel Duchamp, Kurt Schwitters (qui crée à partir de déchets), et deux cinéastes : Hans Richter (pour Rêves à vendre) et Serguei Eisenstein (pour Ivan le terrible) — aucun n'est juif notons-le — mais tous profondément originaux ils illustrent la liberté créatrice.

 

Sur Kandinsky, l'analyse des moments essentiels de son expérience esthétique est particulièrement captivante. Cela concerne l'éblouissement d'un coucher de soleil sur Moscou, passe par la révélation du combat des couleurs et des formes en visitant les intérieurs paysans de la région de Vologda, ainsi que par l'expérience synesthésique au spectacle de Lohengrin qui a incité plus tard Kandinsky à créer ses Compositions comme des œuvres musicales, sans oublier la découverte de l'abstraction à l'occasion d'un retour dans l'atelier du peintre fatigué et rêveur qui ne reconnaît pas un de ses tableaux posé de côté, expérience qui lui fait comprendre que la représentation des objets nuit à sa peinture. Philippe Sers qui a édité les écrits esthétiques de Kandinsky chez Folio attire aussi notre l'attention sur l'imprégnation biblique et orthodoxe de certaines de ses œuvres, ainsi de sa Grande Résurrection. Notons au passage le nombre et la richesse des illustrations de l'ouvrage.

 

Esquisse pour "Composition II", 1909-1910, Fondation Guggenheim, New York.

 

Par ailleurs Philippe Sers tonne contre « l'indifférence évaluative contemporaine » qui lui apparaît comme une « incarcération de la liberté dans la mesure où elle m'interdit l'appréciation des choses ». Il revendique l'évaluation personnelle face à l'œuvre d'art même si c'est en contradiction avec les lois du marché qui « consacre de véritable croûtes et passe à côté de l'essentiel. » L'essai comporte une savoureuse critique de la Bibliothèque nationale de France, reprochant à Dominique Perrault une vision totalitaire de son projet, d'ailleurs le dernier chapitre, consacré à l'architecture évoque « la tentation totalitaire de l'architecture ». Tout au long de cet essai très personnel, preuve d'une immense culture, percent des points de vue originaux. On regrettera seulement quelques dérives jargonneuses...

 

• Philippe Sers : Totalitarisme et avant-gardes. Les Belles Lettres, 2001, 365 pages.

 

 

 

 

 

Tag(s) : #BEAUX ARTS, #HISTOIRE XXe
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