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Moacyr Scliar est né au Brésil d'une famille juive immigrée ayant quitté l'empire russe, ses pogroms et ses cosaques, après la révolution de 1917. C'est aussi le cas des M-Scliar-Majeste.pngdeux personnages principaux de ce roman qui se lit facilement. L'un Noel Nutels est devenu médecin et a travaillé en faveur des Indiens. L'autre est le narrateur : il n'est pas devenu médecin, il a végété comme boutiquier, à São Paulo dans le quartier Bom Retiro où s'entassaient les immigrés. Encore gamins, l'un et l'autre se sont connus sur le paquebot "Madère" durant la traversée qui les mena d'Europe au Brésil où ils se sont rapidement perdus de vue. Toute sa vie, le boutiquier pauliste repense à son copain d'autrefois, en suit de temps à autre la carrière dans la presse ou à la télévision, imagine qu'ils correspondent ou se rencontrent, mais ne fait rien pour.

Autre originalité du roman, la narration est tout entière menée sur un lit d'hôpital dix ans après le décès de Nutels. Dans son monologue le vieux boutiquer s'adresse au médecin qui est à son chevet : « Ah, vous m'écoutez. Vous écrivez, mais vous m'écoutez. Bon, les jeunes arrivent à faire ça, écrire et écouter ce qu'on leur dit. Et les jeunes docteurs;, alors n'en parlons pas. Ils sont capables d'écouter un patient, de lire le manuel, de parler avec l'infirmière et de regarder l'écran, tout ça en même temps.» Car menacé par « la main noire » du destin, le malade ne perd pas tout humour, sans doute culturellement marqué par l'humour juif.

Noel Nutels n'est pas qu'un personnage de roman. Il est un héros brésilien qui dès 1931 s'intéressa au sort des Indiens ; il œuvra pour le ministère de la santé puis dans une institution publique appelée ultérieurement la Fondation de l'Indien (Funai) inspirée par les frères Villas Boas. Ils sont à l'origine du parc du Xingu (1961) pour protéger des indigènes d'Amazonie menacés par la colonisation. Dans ce roman, Nutels est aussi un homme charmant, collectionneur de graffiti scatologiques et doué d'un sens de l'humour qui lui fait dire, lorsque des généraux qui l'ont soutenu dans sa carrière viennent lui rendre visite à l'hôpital, qu'il est « Comme le Brésil : dans la merde et cerné de généraux.»

Il est vrai que Nutels et le narrateur (voire l'auteur) n'avaient pas grande sympathie pour la dictature militaire qui régna au Brésil entre 1964 et 1985. Bien qu'ayant quitté un pays devenu communiste, ils avaient acquis quelque sympathie pour cette idéologie et voyaient dans les communautés indiennes une autre source d'utopie. Le narrateur imagine même une revanche indienne et la venue d'un Indien dans sa boutique pour revendiquer ses terres : « Il arrive à la boutique pour reconquérir son territoire. Il ne vient pas habillé en Indien, évidemment. Il ne vient pas en pagne, avec des plumes. Il n’a pas un bâtonnet dans la lèvre. Mais c’est un Indien. Il ne porte pas de peintures de guerre. Mais c’est la guerre. Pas la guerre avec des massues, la guerre des calculatrices, mais la guerre, de toute façon. Une guerre mortelle.» Mais c'est un Coréen qui achétera la boutique "La Majesté".  

Comme les deux héros du roman de Moacyr Scliar, la grande romancière Clarice Lispector aussi était née dans un shtetl de l'empire tsariste et comme eux elle embarqua à Hambourg en 1922 à destination du Brésil! Claire Lispector et Moacyr Scliar illustrent ainsi dans la littérature brésilienne une tradition autre que celle venue de la culture portugaise. 

Moacyr SCLIAR. Sa Majesté des Indiens. Traduit par Séverine Rosset, Albin Michel, 1998, 267 pages.

• Un article de la revue Amerika pour approfondir les thèmes de ce livre.

 

 

Tag(s) : #BRESIL
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