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On prend rarement autant de plaisir à lire un essai. Le réquisitoire très polémique de Nancy Huston contre la théorie des genres ne manque ni d'arguments ni de Huston-Reflets-dans-un-oeil-d-homme.jpgprovocation ; elle prend pour preuves son propre passé et le destin de femmes célèbres : de Nancy Arcan à Anaïs Nin, de Jean Seberg à Marilyn Monroe. L'humour, l'ironie, les tournures familières rendent la lecture savoureuse.

« La théorie du genre (…) qui considère l'identité biologique comme quantité négligeable est désormais idéologie officielle en France ». Pour les français, ce n'est pas Dieu qui décide de tout ni l'évolution version Darwin, mais « l'individu, orgueil suprême du pays des Lumières ». Cette « idéologie de gauche » rejette toute différence innée entre les êtres humains. Le genre, masculin-féminin, n'est qu'une construction socio-culturelle, un acquis transmis par l'éducation ; « l'un est l'autre » comme l'écrit É.Badinter, en écho au célèbre adage beauvoirien : « on ne naît pas femme, on le devient »: le féminisme veut croire à des sexes identiques, égaux et interchangeables.

Or, s'insurge Nancy Huston, on apprend certes son rôle d'homme et de femme, mais on ne peut effacer le déterminisme biologique: « la nature existe et nous en faisons partie ». Notre société vit ainsi dans une contradiction hypocrite où toutes les images exacerbent la différence des sexes : la photographie du corps féminin, la mode, l'expansion de la pornographie : la femme reste bien « un reflet dans un oeil d'homme »; malgré nos idéaux de liberté et d'égalité on « transforme cyniquement nos penchants innés en dépendance pour en tirer des profits faramineux ».

C'est devenu un anathème que de rappeler le lien archaïque puissant entre  regard masculin et désir, entre séduction et reproduction ; pourtant, même si l'on peut séparer sexualité et enfantement, notre cerveau baigne dans un déterminisme biologique incontestable : « l'anatomie c'est le destin », jamais un garçon ne naîtra d'un ventre masculin. L'homme « mate » la femme pour répandre sa semence, la femme se fait belle et séduit pour être engrossée ; lui quête la « baise » rapide et sans conséquences ; elle cherche l'amour et la protection durable. À preuve, l'auteure signale que les hommes donnent plus de pourboires aux filles quand elle sont en période ovulatoire… Hommes et femmes n'ont ni les mêmes désirs, ni les mêmes souffrances ; homos, trans, bisexuels se comportent différemment, de même qu'un gay ou une lesbienne.

Mais qui dit différence entre les sexes ne dit pas nécessairement hiérarchie et domination masculine ; pour Nancy Huston, c'est l'enfance malheureuse, le père absent ou incestueux, la mère dévorante, qui engendrent « la pute ou le caïd », ce n'est pas la biologie.

La photographie, quels que soient les supports, transforme les femmes en objets, non en sujets comme le prétend le féminisme. L'angéliste thèse des “gender studies” apparaît « élitiste et irresponsable ». Homo sapiens ne diffère pas des autres espèces : « une belle jeune femme seule, pour une bande de jeunes hommes (surtout s'ils ont bu), est l'équivalent d'une biche pour une bande de loups ; elle provoque le désir de curée ».— Décapant!

Nancy HUSTON : Reflets dans un œil d'homme. Actes Sud / Leméac, 2012,305 pages.

 

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE
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