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La publication en 1979 dans la collection "Littéraires soviétiques" — que dirigeait Aragon — de « Recherche d'un genre » avait pu être considérée comme l'évolution ultime des recherches formelles d'Axionov. Il y a en effet deux axes bien différents dans cet ouvrage, l'un, manifestement routier, qui constitue l'essentiel du texte, l'autre, qui se révèle par des allusions artistiques et finit en apothéose. « La Recherche d'un genre » égrène les avantages de l'automobile qui ne se résume pas à un moyen de transport : « ton automobile c'est ta maison, une maisonnette sur roues, une part de ta sphère de protection personnelle, ton lit, ton parapluie, tes galoches, et bien sûr, ton miroir à raser.»  Et maintenant, en route.
 
Tandis qu'au siècle précédent, la fiction russe se développait à travers la taïga ou la steppe en suivant en troïka les longues routes dont les distances se mesuraient en verstes, au siècle de l'industrie soviétique, la fiction prend la route en Jigouli, une de ces Fiat construites à Autograd. Dans ce « road novel » version soviétique, le narrateur parcourt la Russie et les démocraties populaires sans autre but apparent que d'abattre des kilomètres. Les accidents de la circulation jalonnent le parcours de Pavel Apollinariévitch Dourov : l'antique Moskvitch « copie de l'Opel-Kadett d'avant-guerre » retournée dans un fossé, la collision avec une arrosseuse municipale conduite par un ivrogne, etc… Cette errance routière lui permet de prendre à bord des auto-stoppeuses et de faire ainsi entrer la société soviétique dans le récit. Celles-ci bien sûr racontent leurs vies : Mamania, une babouchka à la recherche de son gendre qui trompe sa fille, ou Alla à la recherche d'un amour de mari dans les ports de la mer Noire.

« Et là, lorsqu'ils eurent franchi les limites du bienheureux comté de Koktebel, comme si elle rejetait d'étranges doutes, Alla déballa toute son histoire à Dourov, toute sa vie, tous les hommes de sa vie, tous les ratages et les passions qui l'avaient tourmentée jusqu'à l'époque présente où elle avait déjà vingt-sept ans et en portait, c'est horrible à penser ! trente-cinq.»

Dans ce dernier roman publié en Russie avant l'exil aux Etats-Unis (Novy Mir, 1978), l'auteur fait un clin d'œil à ses prédécesseurs Ilf et Petrov reporters russes qui parcourent en Ford l'Amérique des années trente ;  ils ont intitulé « Crise du genre » et « Nouvelle crise du genre » deux chapitres de leur « Veau d'Or » ! (1) Ceci nous amène au deuxième axe de lecture du roman d'Axionov.

Pavel n'est pas un chauffeur routier mais un artiste, « un illusionniste spécialisé dans un genre rare et mystérieux » (2) ce qu'il ne confesse généralement pas à ses passagers et passagères. Dès le premier chapitre, il est reconnu comme « artiste » par l'officier de la milice venu à sa rescousse et plus loin il se présente comme « magicien » sans que le lecteur s'y arrête puis qu'il accepte aussi de passer pour un marin comme l'envisage Mamania quand il la conduit chez sa fille Zinaïda.

Cette activité artistique Pavel Dourov la précise petit à petit, avec les six scènes enchâssées en intermède du roman routier, avec la mention d'un spectacle vivant qui lui a rapporté 500 roubles et un parchemin honorifique ; elle aboutira en pleine montagne aux retrouvailles avec les quatorze membres de l'atelier errant. Alors, Dourov sortira du coffre de la Jigouli son précieux « Générateur On Dirait ». Leur groupe meurt et ressuscite : il atteint enfin la  « véritable vallée », un paradis bien séparé du quotidien soviétique gris et rouillé.

Si Axionov décrit avec malice ses contemporains, il esquisse avec Dourov le portrait d'un artiste en quête d'innovation, en recherche d'un genre d'art nouveau. En somme, une narration originale qui mérite mieux que l'avis répandu d'un roman égaré dans des recherches formelles. Les kilomètres en voiture forment comme le brouillon de l'œuvre à venir.

(1) Comme le note Laure Troubetzkoy dans son article "Route américaine et voie soviétique: une convergence éphémère", in Cahiers Slaves n°10, UFR d'Etudes slaves, Université Paris-Sorbonne, 2008, page 251.
(2) Idem, page 266.

Vassili AXIONOV
Recherche d'un genre

Traduit par Lily Denis
Gallimard, 1979, 192 pages.

 

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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