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« Il était une fois, dans le pays d'Alifbay, une ville triste, la plus triste des villes, une ville si épouvantablement triste qu'elle en avait oublié son propre nom…» Mais il était aussi un gentil garçon, Haroun, fils de Soraya et de Rachid Khalifa dont le beau métier consistait à être conteur. Or, ils avaient comme voisin l'ignoble Mr Sengupta.

Le premier tort de Mr Sengupta a sans doute été de poser à Haroun cette question insidieuse : « A quoi servent des histoires qui ne sont même pas vraies ? » Le deuxième tort de Mr Sengupta a été d'enlever Soraya, la maman de Haroun, un matin à 11 heures tandis que son père était overbooké par son bizness de conteur professionnel. Le troisième tort de Mr Sengupta était sa triste figure, à l'image de la ville sans nom, que polluaient les fumées noires crachées par les cheminées des usines de tristesse. Pour toutes ces raisons, Mr Sengupta sera le méchant voisin, non : le méchant tout court sous le nom de Khattam-Shud : ce qui signifie "complètement fini".

Avec les nombreuses campagnes électorales — car l'Inde est la plus grande démocratie du monde — Rachid Khalifa ne manquait pas de contrats qui l'amenaient d'un bout à l'autre du pays ; les candidats aux élections aimaient mieux réunir leurs électeurs pour leur faire entendre des contes fantastiques plutôt que des sornettes et des fausses promesses. Or, il advint, Soraya était à peine partie, que disparut aussi l'inspiration dont jouissait habituellement Rachid : "complètement fini !" c'est dans cet état qu'il se retrouva brutalement un soir de réunion électorale, en pleine tournée dans la vallée de K.

Tandis qu'ils séjournent à l'hôtel-bateau des Mille et Une Nuits plus une, où M. Buttoo leur avait réservé deux chambres donnant sur un lac magnifique, Haroun va devoir prendre les choses en main avec le concours d'une multitude de créatures venues à lui dans son sommeil : ces créatures fantastiques, comme le Génie de l'Eau, l'emportent à toute vitesse dans la Lune, pas celle que vous voyez la nuit, non, l'autre, celle où la mer des histoires bouillonne en permanence, agitée des courants contraires, porteurs de formidables variantes. Le tout sous la surveillance du Morse, le grand responsable du S2TTCAE (le « Système de Transmission Trop Compliqué À Expliquer ») et capable de fabriquer des "fins heureuses" sur lesquelles je ne vous donnerai aucun détail.

Sachez seulement qu'on va frôler la catastrophe ! En effet Haroun va se retrouver emporté vers la Bande de Crépuscule, y trouver son père prisonnier, et devoir combattre des forces obscures comme le "Navire Nuit" du méchant maître des Bouches Cousues, le capitaine Khattam-Shud  en personne qui, non content de polluer irrémédiablement la mer des histoires, est sur le point de réaliser une machine infernale capable de tout vidanger. Sachez aussi que tout cela prendra un peu de temps. Mais au réveil, quand M. Buttoo viendra les chercher pour le meeting électoral, Rachid aura retrouvé sa verve et peu après la vie sourira de nouveau pour Haroun.

• Le conte aurait été écrit par Salman Rushdie pour son fils, du temps de la fatwa qui lui imposait le silence et menaçait sa vie. Je ne sais pas si Rushdie junior a aimé le conte, mais quant à moi, je lui ai trouvé beaucoup de qualités. D'ailleurs même en manquant totalement d'imagination, le lecteur occidental aura tendance à identifier le chef Khattam-Shud, le parti des "Bouches Cousues" fanatiques qui lui obéissent, et jusqu'aux "Chupwala" qui vivent dans l'obscurité. Vous ne croyez pas ?

Salman RUSHDIE
« Haroun et la mer des histoires »
Traduit par Jean-Michel Desbuis
1ère édition : Christian Bourgois, 1991, 249 pages. Réédition, Plon, "Feux croisés", 2004.

Tag(s) : #LITTERATURE JEUNESSE
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