Ceux qui n'étaient pas Parisiens n'étaient que de vulgaires Paysans. « Moki estimait qu'un Parisien ne devait plus habiter dans une masure comme la leur, une bicoque en planches d'okoumé surmontée d'un toit en tôles rouillées.» Aussi, en revenant un été au pays, Moki avait-il pu dépenser généreusement pour construire à ses parents la plus belle maison du quartier. C'était un Parisien, c'est-à-dire un Congolais émigré à Paris où ses activités semblaient bien profitables. Pour s'en convaincre, il suffisait à son ami d'enfance Massala-Massala de le voir parader avec les filles dans les maquis ou en voiture quand revenait le temps des vacances au pays.
• N'y tenant plus Massala-Massala obtiendra de son ami Charles Moki de lui préparer l'expédition jusqu'en France. Il aura des papiers en règle pour un voyage touristique... et déjà Adeline prétendra partager sa vie avec ce futur Parisien. Quelques heures d'avions plus tard, Paris ne sera déjà plus le paradis espéré par l'indolent Massala-Massala. Il y fait froid. Pour le réchauffer… et pour rentrer dans ses frais, Moki entend mettre rapidement au travail ce "débarqué" qui a eu trop vite le mal du pays ! Le voici donc introduit dans un milieu de clandestins tous plus inventifs les uns que les autres. Si Moki trafique dans la fringue, Boulou, l'"Agent immobilier", est l'inventeur de la "garantie trimestrielle" pour les squats qu'il loue au prix fort. Et les faux-papiers fournis par Préfet transforment Massala-Massala en un certain Marcel Bonaventure mais ils ne sont pas gratuits. Notre pauvre ingénu est expédié dans des trafics louches pour lesquels il n'est pas préparé.
• Voilà, vous avez plus ou moins deviné la suite. Ceux qui rentreraient au pays par "charter" — comme on commençait à dire quand Charles Pasqua officiait place Beauvau — n'auraient pas de jolis cadeaux à offrir, ni aux parents ni à leur dulcinée. Et Adeline bien sûr aurait disparu... Entre Moki et Massala-Massala le "deal" n'était pas l'idéal : on était dans une situation d'information dissymétrique. Dans ce premier roman, construit en "flash-back", Alain Mabanckou oppose Paris à une Afrique où l'on n'a d'autre ressource attendue que l'argent et les cadeaux des Parisiens, ceux-ci étant réputés mener une vie facile au pays de l'abondance et des droits de l'homme. À Château-Rouge, évidemment, la réalité est un peu différente... La marque de Mabanckou c'est déjà une touche d'ironie — que les œuvres suivantes amplifieront pour notre bonheur jusqu'à "Verre Cassé" qui repose aussi en partie sur cette opposition entre Paris et l'Afrique.
• Alain Mabanckou, " Bleu, Blanc, Rouge ". Présence Africaine, 1998, 222 p.