Avec "Les Crapauds-Brousse", le romancier né en Guinée en 1947 avait introduit le thème de l'exil politique. Il reprend ce thème dans son 4è roman car sa patrie est toujours gouvernée par "Boubou-Blanc" dont les habitudes de gouvernement confinent au pire pouvoir dictatorial.
« Saloperie d'indépendance, c'est même plus un pays, c'est un vieux rafiot en feu d'où chacun s'échappe selon les moyens de sa peur.» Aussi n'est-on pas surpris de retrouver ici un groupe de jeunes Guinéens réfugiés, cette fois-ci en Côte-d'Ivoire. Et c'est l'un d'eux, Badio, qui est le narrateur.
Encore étudiants et donnant des cours dans des collèges qui parfois les paient, ils se retrouvent souvent dans les "maquis" de Bidjan-la-même. Par exemple chez tantie Akissi où on se régale d'attiéké, un plat à base de farine de manioc et de poisson frit. C'est là aussi qu'ils doivent fêter le départ pour l'Europe de l'une des rares filles du groupe, Idjatou, la petite soeur d'Elgass. Mais entre Mermoz, le quartier du campus où ils habitent, et le maquis où Idjatou les attend, c'est presque toute la ville qu'il faut traverser en Bus, par la ligne 12. Contourner Cocody, longer le Plateau, franchir le pont et se retrouver à Treichville.
Comme des pauses sont inévitables — et qu'on est dimanche — on prendrait bien une bière puis une autre servies par Kouassi Kouassikro, fier descendant de prince guinéen, au bar du Libanais, séducteur invétéré. Badio et ses amis vont faire attendre Idjatou. Mais quand ils la rejoignent au bar Hélène, à minuit passé, la fête va déraper au fil des parties d'awélé. Plusieurs années auparavant, mais après la mort de son frère aîné Elgass, la jeune Idjatou était venue toute seule de Guinée à la recherche de son "sassa" et Elgass avait laissé derrière lui pas mal d'argent. Tout le monde ne sortira pas indemne de cette ténébreuse affaire.
« Si certains croient se souvenir d'avoir vu le sassa épinglé au-dessus de son lit, c'est parce qu'on en a parlé récemment. A l'époque, tout le monde n'avait dû y voir qu'un machin pour touristes comme il en pullule sur les côtes africaines. Une gourde de Touareg, par exemple, puisqu'il avait été instituteur nomade au Niger; un sac de donso bambara puisque c'est au Mali qu'il avait contracté son premier mariage; un décorum lobi ou bobo puisque c'est en Haute-Volta qu'il lui était arrivé cette histoire de faux billets de banque avec un prétendu commissaire de police; un fétiche éwé puisque c'est au Ghana qu'il avait été orpailleur... Où est-il passé, ce sassa? II existe bien, pourtant. Sinon le lignage ne se serait pas amusé à pousser une collégienne plus prédisposée au jeu de marelle qu'aux finasseries de l'ésotérisme à parcourir des centaines de kilomètres depuis le pays jusqu'à Bidjan.»
Dans un style fleuri, n'hésitant pas à utiliser des termes de langues locales, le romancier peint un savoureux tableau de Bidjan-la-même, avec ses riches et ses paumés, ceux qui fréquentent la faune du bar de l'hôtel Ivoire, et ceux qui rencontrent les "toutou" dans les bouges de périphérie — « Yopougon à côté c'est la bourgade des innocents ».
• Tierno MONÉNEMBO : Un attiéké pour Elgass. Seuil, 1993, 170 pages.