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En 1769, Mazagão, la dernière forteresse du Portugal sur la côte atlantique du Maroc est évacuée sur ordre du gouvernement du marquis de Pombal, premier ministre du roi dom José Ier. Tandis que les troupes du sultan Moulay Mohamed se préparent à l’assaut, une trêve de trois jours est conclue avec les Portugais qui évacuent les 2092 civils et militaires de la place-forte, y compris des prisonniers. Pour le Portugal, qui a obtenu en 1750 des Espagnols l’abolition du traité de Tordesillas, puis repris le Brésil aux Hollandais, l’heure est à l’expansion dans le Nouveau Monde. Il importe de peupler le nord du Brésil à l’heure où Choiseul envoie des milliers de colons en Guyane. Enfin, l’expulsion des Jésuites doit être compensée par de nouveaux arrivants. C’est ainsi que Lisbonne opère la « transportation » de Mazagão en Amazonie. Ainsi en a décidé le frère de Pombal, le secrétaire d'état à la marine Furtado Mendonça.

Dans un premier temps, les 2092 mazaganistes sont débarqués à Lisbonne, sur les quais de Bélem, pour laisser le temps de préparer l’expédition transatlantique. A bord de dix vaisseaux, séparés en deux groupes et organisés en familles, 1642 ex-mazaganistes gagnent Bélem do Grão Para en 55 ou 66 jours. Le gouverneur organise leur installation sur la rive gauche de l’embouchure de l’Amazone, un peu au sud de Macapa (auj. capitale de l’Etat d’Amapa). Les Portugais emploient des Indiens, une centaine à la fois, pour bâtir les maisons —des paillotes améliorées—  qui accueilleront les réfugiés. Aussi, sont-ils transférés petit à petit sur le site de Nova Mazagão, à bord de pirogues, et très lentement puisque le 1er janvier 1777, il reste encore 300 mazaganistes à Bélem. C’est assez dire que l’installation, toujours étroitement calquée sur des opérations conçues à distance, peine à tenir compte de l’évolution du groupe pendant le séjour à Bélem do Grão Para : décès, naissances, mariages, voire fuites pour échapper à une colonie peu reluisante.

En Amazonie, les nouveaux venus, pour beaucoup anciens militaires, et nobles (fidalgos) dans une forte proportion, peinent à devenir de modestes colons, à cultiver le riz, à accepter le climat équatorial et son humidité élevée, malgré l’apport de centaines d’esclaves africains. Constatant à la fois les récriminations persistantes des colons et devant la régression de la colonie, qui ne parvient pas à s'inscrire dans les circuits de l'économie marchande, Lisbonne se résoud en 1783 à autoriser les colons qui le souhaitent à quitter Novo Mazagão — tout en restant dans la province du Para. La colonie disparaît alors des sources archivistiques.

En 1833, l’empire du Brésil ôte à Nova Mazagão son statut de « vila » et même son nom. Devenue Regeneração, divisée entre libéraux et conservateurs, elle périclite un peu plus quand les descendants des Portugais créent dans la région une Mazaganopolis alors que dans ce qui devient Mazagão Velho se groupent les Noirs, descendants des esclaves libérés ou descendants des quilombos, c'est-à-dire des esclaves marrons. Ce sont ces villageois d'origine africaine qui aujourd'hui célèbrent en juillet la fête de São Tiago et São Jorge. Elle commémore le combat des Portugais chrétiens contre les Maures. Et non pas la libération des esclaves de 1888. Cet événement du Mazagão d'aujourd'hui confirme à mon avis les analyses de Serge Gruzinski sur le métissage culturel (La pensée métisse, chez Fayard, et Les Quatre parties du monde, chez La Martinière).

Au Maroc, Mazagão partiellement détruite au départ des Portugais, fut nommée El Jadida, la rénovée, car à partir de 1827 le gouverneur des Doukkalas fait s'y installer des familles juives, berbères et espagnoles (à qui on conseille de s'habiller comme les Juifs pour ne pas être confondus avec des Portugais haïs). Devenue au XXe siècle une ville touristique en raison de ses remparts restaurés, El Jadida a été classée au patrimoine mondial de l'Unesco en 2004.

• L'intérêt de ce travail de recherche n'est pas seulement de chevaucher les continents. L'histoire de la relocalisation manquée de Mazagão en Amazonie illustre l'absurdité des planifications bureaucratiques pour gérer une réalité changeante puisque humaine. L'historien rochelais insiste clairement sur ces distorsions. Par cette volonté têtue, le Portugal de Pombal a ainsi quelque chose de commun avec… la Russie stalinienne. Etonnant Portugal qui va s'accrocher à la colonisation jusqu'en 1974!


Cette histoire de transplantation collective a quelque chose de commun aussi avec l'histoire des implantations de colonies agricoles par des militaires (cf. thèse d'Eric Saugera sur les Français bonapartistes exilés aux Etats-Unis après 1815, créant en Alabama une éphémère "colonie de la vigne et de l'olivier"). On en reparlera…
• Laurent VIDAL. MAZAGÃO. La ville qui traversa l’Atlantique.
Du Maroc à l’Amazonie (1769-1783). Aubier, 2005, 314 pages, ill.




 

Tag(s) : #HISTOIRE GENERALE, #BRESIL, #MAROC
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