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​     Commençons par deux gravures pour entrer discrètement dans l'atelier du peintre.

Notre premier guide sera Jan van der Straet, un Flamand de naissance, qui est allé peindre en Toscane. Avec lui nous allons visiter l'atelier de Jan van Eyck (1390-1441), un espace très animé !

 

Jan van der Straet (1523-1605)  s'est établi à Florence où on le connaît sous le nom de Johannes Stradanus puis de Giovanni Stradano ; sous le titre Color Olivi, il représente ici Van Eyck dans son atelier à Bruges peignant saint Michel terrassant le dragon à la peinture à l'huile qu'il vient d'inventer. - Estampe 14 tirée de Nova Reperta, ou New Inventions of Modern Times, 1591, gravure au burin par Théodore Galle, Folger Shakespeare Library, Washington. À droite des apprentis préparent ses couleurs, d'autres travaillent à des esquisses, et à gauche une dame pose pour son portrait. L'atelier apparaît comme une entreprise maîtrisant une profusion de techniques, plus qu'un lieu ouvert sur la société. 

 

Notre second guide sera un Français, Abraham Bosse (1602-1676). Ici, il n'est plus question des techniques mais de prestige, voire de gloire, du triomphe social de l'artiste à la mode et bien en Cour. 

Le Noble Peintre, 1642, National Gallery of Art, Washington. 
 

« Que le graveur ingénieux / Faict bien icy voir à nos yeux / l'excellence de la peinture...» proclame le poème à la gloire de l'artiste qui a réalisé le portrait du roi Louis XIII. La noblesse de son modèle autorise le peintre à se représenter en majesté !

 

Chaque époque reflète sa conception de l'atelier du peintre ; chaque artiste en donne à voir sa représentation personnelle ; mais quelques constantes semblent se faire jour. Sauf exception, nous ne retiendrons pas l'atelier vide, sans peintre, sans modèle, sans visiteur.

 

 Saint Luc et la Vierge : l'atelier du peintre à la Renaissance 

 

Saint Luc était le patron de la guilde des peintres à la Renaissance, notamment dans les villes des Flandres et des actuels Pays-Bas, car selon le moine Jean Damascène au VIIe siècle l'évangéliste Luc aurait peint le portrait de la Vierge. 

 

Rogier van der Weyden (Tournai 1399 - Bruxelles 1464). Saint Luc peignant la Vierge. vers 1435-40.  Musée des Beaux-Arts de Boston. Huile sur bois, 137 x 110 cm. L'œuvre a été commandée en 1435 par la Guilde de sainte Gudule pour la cathédrale de Bruxelles. (On peut noter que l'agencement de cette peinture est proche de La Vierge et le chancelier Rolin de Van Eyck, même époque, Louvre). Ici saint Luc semble réaliser un croquis préparatoire à la pointe. Saint Luc serait représenté sous les traits de Van der Weyden. Il n'œuvre pas dans son atelier mais dans un riche palais digne de son sujet.

 

 

Derick Baegert (c.1440-c.1515). Saint Luc peignant la Vierge. Münster, Westfalisches Landesmuseum. 1470. Sans doute l'un des plus anciennes représentations de la peinture au chevalet. De même ici l'artiste représente une luxueuse résidence. Devant ce sujet biblique, le peintre n'est qu'un exécutant.

 

 

Jan Gossaert, alias Mabuse (Maubeuge vers 1480 - Breda1532). Saint Luc peignant la Vierge. 1525. Kunsthistorisches Museum, Vienne. L'importance du décor architectural et des fioritures ornementales fait presque oublier le sujet. L'artiste est déchaussé et agenouillé devant Marie et l'Enfant Jésus : comme dans les précédents tableaux, il se peint en retrait.

 

Marteen van Heemskerck (c'est sa ville d'origine, 1498-1574). Saint Luc peignant la Vierge, 1532, avant son voyage en Italie. Version du Musée Franz Hals à Harlem, Pays-Bas. Près de saint Luc, le taureau est symbole de l'évangéliste. Par ailleurs, la scène reste hors de tout décor.

 

Du même Marteen van Heemskerck, une autre version de Saint Luc peignant la Vierge. 1545. Musée des Beaux-Arts de Rennes. Huile sur bois de 205 x 153 cm, dans un style renouvelé par son voyage à Rome (décor architectural).  L'enfant Jésus tient un perroquet, symbole de l'éloquence de l'évangéliste.

 

Giorgio Vasari (Arezzo 1511 - Florence 1574) - Saint Luc peignant la Vierge -1565 - Santissima Annunziata à Florence. Le taureau est l'emblème de l'évangéliste sinon sa présence serait incongrue. À l'arrière-plan on remarque un apprenti en train de préparer des couleurs. Et toujours le taureau au premier plan. Vasari met en scène la présence de la Vierge dans son propre atelier, comme si elle lui faisait l'honneur de le visiter. 


Avant de quitter cette rubrique, il est intéressant de rapprocher cette œuvre de Vasari d'une autre, où la Vierge est remplacée par un sujet érotique et mythologique.

 

Giorgio Vasari, L'atelier du peintre, 1563, fresque, Arezzo, maison de Vasari. Dans les deux peintures, les vêtements de l'artiste sont les mêmes et la composition voisine, avec l'ouverture sur une seconde pièce où travaillent des aides du peintre. Outre le sujet, une autre différence importante est l'éclairage de l'atelier par des flambeaux. — « Tel le mythique Zeuxis peignant les cinq jeunes filles d’Agrigente, Vasari s’est représenté, sélectionnant parmi les jeunes filles qui l’entourent, son modèle idéal. À l’arrière-plan, ses aides lissent et discutent. La mention la plus ancienne de ces fresques, dans le guide de Florence de Bocchi et Cinelli (1677), a conditionné l’interprétation des sujets, nommés indistinctement Histoires d’Appelle » note le site "aparences.net".

 

Nicolas de Hoey (Leyde 1547 - Paris 1611). Saint Luc peignant la Vierge - 1603. Huile sur bois 109 x 174 cm. Musée des Beaux Arts de Dijon. Une élégante Vierge tient un petit Jésus d'allure étrangement raide. La servante apporte un vêtement pour rhabiller l'enfant. La scène se passe dans un atelier de peintre, à preuve la pièce en arrière-plan.  On retrouve ici le perroquet tenu par l'ange qui signifie l'éloquence de l'évangéliste ;  les livres sur l'étagère et le flacon rappellent que le saint est à la fois écrivain et médecin. On peut remarquer que l'artiste qui tient de la main gauche palette, couteau et canne appuie-main se représente sous les traits de Saint Luc : à l'inverse des précédentes représentations du même sujet, l'artiste ici se met en valeur en s'incrustant dans la scène qu'il représente. 

 

Plusieurs artistes ont ainsi repris cette thématique aux XV° et XVI° siècles. Dans leurs œuvres apparaissent les principaux motifs : l'atelier, le modèle, le matériel du peintre, le peintre au travail, l'autoportrait, les personnes présentes , commis ou élèves, admirateurs, voire acheteurs. Ils ne vont pas fondamentalement changer. On découvrira en passant des dynasties d'artistes.

 

 Le Siècle d'Or des peintres hollandais 

L'Atelier du peintre constitue à la fois le lieu de la création artistique et le lieu où l’artiste se donne à voir. Cette double perspective apparaît avant le Siècle d'Or et continuera au-delà...

 

Catharina van Hemessen (Anvers 1527 ou 1528 - 1588 ?). L'artiste a vingt ans en 1548 quand elle peint cet Autoportrait. (Huile sur bois. Kunstmuseum, Bâle). Fille du peintre Jan Sanders van Hemessen, elle entre à la guilde de Saint-Luc d'Anvers et travaille comme portraitiste à la cour de Marie de Hongrie (soeur de Charles Quint) et après son mariage Sofonisba Anguissola lui succèdera dans ce poste. Elle suit son mari organiste à la cour d'Espagne de 1556 à 1561, puis à Anvers et Bois-le-Duc. Elle est le premier peintre dont nous disposons d'un autoportrait devant un chevalet. Le regard grave, l'absence de toute expression : être femme et peintre au 16° siècle inspire le respect.

 

Herman van Vollenhoven (Utrecht c.1585 - 1633). Le peintre dans son atelier réalisant le portrait d'un couple marié. 1612, Rijksmuseum, Amsterdam. L'atelier est assez sombre, le peintre se met en scène d'une manière théâtrale. Assis à côté de son épouse, le mari tient un crâne sur la table où est également posé un sablier, deux symboles du temps qui passe, comme dans une vanité — genre qui commence alors à s'imposer aux Pays-Bas. 

 

Harmensz. van Rijn dit Rembrandt. (Leyde 1606 - Amsterdam 1689). L'artiste dans son atelier ou Le Chevalet (Huile sur panneau, 25 x 31 cm). Musée des Beaux Arts de Boston, 1628. L'environnement est pauvre, la pièce n'est pas en bon état avec ses murs craquelés et le peintre a peu d'outils à sa disposition. Une palette est accrochée au mur, au dessus d'un mortier destiné à broyer les pigments. Le chevalet vu de l'arrière n'est guère attrayant et le sujet de la peinture de grande dimension reste un mystère. C'est l'une des premières œuvres de Rembrandt. Il représente l'artiste bien petit par rapport à sa toile : être peintre c'est beaucoup de travail dans une grand misère.

 

Gerrit Dou (Leyde 1613 -1675). Le peintre dans l'atelier. 1628 ? - Rembrandthuis, Amsterdam. Ici pas d'éclairage venant de la gauche du chevalet, mais de derrière le spectateur, de manière à éclairer au mieux l'artiste en plein travail tandis qu'un visiteur, peut-être un acheteur, se présente. Au premier plan, des objets indiquent que l'artiste, le plus connu des élèves de Rembrandt, a d'autres commandes que le tableau en cours. Au mur : un autoportrait , une mise en abîme qui valorise l'artiste. 

 

Egalement de Gerrit Dou, Le peintre dans son atelier, 1647, Gemäldegalerie, Dresde. L'élève de Rembrandt est alors devenu un peintre apprécié, il a atteint la réussite sociale comme le montre la richesse du décor de cet atelier... où on ne le voit pas peindre. Enlevez l'autoportrait et la toile devient une vanité. 

Barent Fabritius (1624-1973), Peintre dans son atelier. Vers 1655. Huile sur bois, 72 x 54 cm. Musée du Louvre. Ici au contraire, l'artiste est solitaire au milieu d'un atelier austère.

Jan Miense Molenaer (Haarlem, 1610-1668) : L'Atelier du peintre, 1631, Gemäldegalerie, Berlin. Comme son confrère et compatriote de Leyde qu'est Gerrit Dou, Molenaer montre une œuvre en cours, le peintre s'est levé de son tabouret pour prendre des couleurs disposées près de la fenêtre. Au premier plan un nain joue avec un chien. Au mur du fond, derrière le musicien, une mappemonde. La femme semble faire des remarques peut-être à un apprenti. Derrière lui une porte ouverte laisse entrevoir un autre chevalet. L'atelier apparaît comme un espace convivial. 

 

Judith Leyster (ou Leijster, 1609-1660) : Autoportrait, 1633, National Gallery of Art, Washington. Elle est native de Haarlem comme Molenaer qu'elle épousa en 1636. Autrefois, cette œuvre avait été attribuée à Frans Hals. À la différence du précédent autoportrait de femme peintre,  J. Leyster sourit, se met en valeur, épanouie dans son travail d'artiste.

Cet Atelier de peintre avec modèle posant et broyeur de couleurs, 59 x 95 cm, 1638, Louvre, est l'œuvre du peintre anversois David Ryckaert III dit le Jeune (1612-1661). Le modèle qui pose tenant sa pipe et une aiguière est représenté sur l'œuvre en chantier.

 

Mathieu Le Nain (1607-1677). L'Atelier de l'artiste. Huile sur toile. 73 x 89 cm. Vers 1655. Vassar College, The Frances Lehman Loeb Art Center, Poughkeepsie, New-York State. Le modèle pose avec des plumes ornant sa coiffure, tenant une guitare, bien éclairée par la lumière venue de la fenêtre mais qui laisse en partie le peintre dans l'obscurité. Deux autres hommes sont visibles, celui qui est assis et dessine, de dos à droite, et le troisième qui sort dans l'embrasure de la porte du fond. Les frères Le Nain n'étaient-ils pas trois ? Seul le chien nous regarde. 

 

Frans van Mieris l'Ancien (Leyde, 1635-1681) Le peintre dans son atelier. 1659. Gemäldegalerie, Dresde. Né dans une famille de peintres et d'orfèvres, élève de Gerrit Dou, Frans van Mieris travailla avec ses fils. Dans son atelier prospère il représente ici une panoplie d'objets (globe, statuette...) ce qui indique les goûts d'une clientèle cultivée qui a compté l'empereur Léopold Ier et le grand-duc Côme III de Médicis. Le peintre nous regarde avec aplomb, fier de sa peinture devant son modèle ou un éventuel acheteur...

 

Adriaen van Ostade (Haarlem 1610-1685). Le peintre dans son atelier. 1663. Gemäldegalerie, Dresde. La composition est assez semblable à la précédente : un peintre assis devant son chevalet éclairé par une fenêtre située à gauche. Au fond, un commis prépare les couleurs. Un certain désordre règne dans l'atelier miséreux : représenté de dos l'artiste absorbé par son travail semble un élément comme les autres dans l'atelier.

 

Une autre version du sujet, L'Atelier du peintre, 54 x 51 cm, par le même Adriaen van Ostade est au Rijksmuseum, mais daté des années 1647-50. D'une œuvre à l'autre, la fenêtre s'est rétrécie et l'atelier est plus sombre. Comme précédemment, le peintre s'affaire sur un paysage. Ici, on lui voit deux apprentis qui préparent ses couleurs. Selon le site du Rijksmuseum, Van Ostade n'a pas peint son propre atelier mais imaginé celui d'un peintre bien plus modeste.

 

Jan Vermeer. L'Art de la peinture. 1666. Kunsthistorisches Museum, Vienne. C'est le plus finement travaillé et composé des tableaux de cette série d'ateliers d'artistes du Siècle d'Or hollandais. Au mur, la carte des Pays-Bas (orientée vers l'ouest). Mais toute la scène paraît bien trop propre pour figurer un atelier d'artiste. Le drapé au premier plan suggère la mise en scène de la peinture, un Art comme le théâtre. Comme dans le tableau précédent l'artiste se représente de dos ; l'acteur principal n'est pas lui mais le modèle, Clio, la muse de l'Histoire.

 

Aert de Gelder, 1685, Autoportrait au chevalet dit aussi Autoportrait en Zeuxis par référence au tableau de Rembrandt de 1669. Huile sur toile, 142 x 169 cm. Musée Städel,  Francfort-sur-le-Main. De Gelder, qui a été élève de Rembrandt, se tourne en souriant vers le spectateur : il est content d'avoir terminé son œuvre et la trouve réussie. 

 

Michael Sweerts (Bruxelles 1618 - Goa 1664). L'Atelier du peintre, 1648-50 - Rijksmuseum, Amsterdam. Grande activité dans cet atelier : on dessine, on peint, on prépare des couleurs. Au fond, la porte ouverte laisse apercevoir un paysage urbain. 

 

Michael Sweerts : La classe de dessin. 1655 env. Haarlem Museum Frans Hals. Après son long séjour romain, Sweerts revint à Bruxelles, entra à la guilde de Saint-Luc et ouvrit une académie de dessin et de peinture, avant de s'installer brièvement à Amsterdam et de partir en mission aux Indes. Le peintre augmente ses revenus en ouvrant une classe, en même temps qu'il renforce sa réputation. 

 

Les peintres flamands et hollandais ont donné le ton. Au siècle suivant, français et autrichiens vont suivre la voie...

 

 Apelle et Campaspe 

 

D'après Claude Élien dit le sophiste, Campaspe aurait été la première maîtresse d'Alexandre. Selon Pline l'Ancien, le souverain aurait demandé à Apelle d'en faire un portrait nu. C'est sans  doute une légende ! Mais jusqu'au XIXe siècle, l'histoire a inspiré les peintres pour des scènes d'atelier.

 

Joos van Winghe. Vers 1600 - Apelle peignant Campaspe. Kunshistorisches Museum, Vienne. La composition permet à l'artiste de montrer son modèle nu, à la fois de face et de dos. L'ensemble compte huit personnages. Campaspe et l'Amour se regardent, le peintre regarde Campaspe, Alexandre regarde le peintre... Le jeu des regards est d'une grande complexité et donne sa dynamique au tableau ; l'atelier tout comme le peintre ne sont pas prépondérants.

 

Wilhelm van Haecht - 1630 - Apelle peignant Campaspe.  Mauritshuis. La scène se passe plus dans une galerie de peinture que dans un atelier d'artiste. Mais ce qui nous intéresse ici est au premier plan, à gauche : voyons de plus près...  

 

Wilhelm van Haecht - 1630 - Apelle peignant Campaspe. (Détail) Mauritshuis. Alexandre montre à sa suite l'œuvre qui semble le satisfaire. Prenant ses distances avec la légende, le peintre a représenté Campaspe vêtue, excepté un sein...

 

Giambattista Tiepolo. 1740 - Alexandre le Grand and Campaspe dans l'atelier du peintre Apelle. Musée Getty, Los Angeles. Comme dans le tableau précédent, Campaspe ne montre que sa poitrine au peintre. Le musée des Beaux-Arts de Montréal possède une autre version de ce sujet par Tiepolo. Alexandre regarde au dehors comme s'il attendait que l'artiste ait achevé le portrait commandé. Là encore il n'est pas mis en valeur.

Un demi-siècle passe : nous sommes en 1797. Ce n'est plus Alexandre, ce n'est plus Campaspe, mais le dispositif est conservé : c'est une scène grandiose d'atelier à l'antique.

André Monsiau (1754-1837) était spécialisé dans la peinture d'histoire : ici Zeuxis choisissant ses modèles. 1797. Art Gallery of Ontario. Toronto. Pour peindre Hélène de Troie, Zeuxis doit s'inspirer de plus d'un modèle de beauté. On raconte que Zeuxis était si satisfait de son œuvre qu'il faisait payer ses visiteurs. 

 

Jean Broc (1771-1850) : L'école d'Apelle. 1800. Musée du Louvre. Encore plus de personnages... Apelle reste la référence, mais plus de Campaspe ni d'Alexandre. Mais nous les retrouverons encore avec Jacques Louis David, dont Broc a été l'élève, dans deux œuvres qui se font écho. Avec le grand nombre de personnages, avec l'escalier et l'architecture, l'œuvre évoque peut être davantage L'École d'Athènes de Raphaël que les différentes versions sur ce thème. 

 

Jacques Louis David (Paris 1748 - Bruxelles 1825) : Alexandre, Apelle et Campapse. 1814, Louvre. A cette date, David a déjà parcouru une longue carrière sous Louis XVI, la Révolution, le Consulat et l'Empire. Son atelier, fort célèbre, compta à son apogée jusqu'à une quarantaine d'élèves dont Gérard, Gros, Girodet et Ingres. Ce tableau s'inscrit dans un décor d'architecture classique. 

 

Du même Jacques Louis David et de la même année 1814 — durant laquelle il organisa une exposition à son atelier —, voici une peinture sur le même thème conservée au Musée des Beaux-Arts de Lille. La forme du tableau en chantier a changé.  Alexandre est devenu un modèle nu, le pendant de la belle Campapse. Le décor est plus neutre et débarrassé des statues. L'interprétation du sujet n'a jamais été aussi intime. 

 

 

 Les ateliers des Lumières 

 

Ludolf Backhuysen — ou Bakhuisen (Emden 1630 ou 31 - Amsterdam 1708), Un artiste dans son atelier peignant le portrait d'une aristocrate, — sous le contrôle du mari pourrait-on ajouter. 1707, Rijksmuseum, Amsterdam. Ce peintre qui s'est marié quatre fois s'est illustré dans tous les genres de tableaux, principalement des marines. Visiblement nous ne sommes pas dans l'atelier d'un peintre sans le sou, mais plutôt invité dans une demeure noble. 

 

François Boucher (1703-1770) : Le peintre dans son atelier. Huile sur panneau de bois, 27 x 22 cm. Vers 1730-35, Paris, Musée du Louvre. Boucher, peintre du roi et directeur de l'Académie de peinture et de sculpture, n'a pas uniquement peint de gracieuses pastorales. Le peintre apparaît concentré sur son œuvre, un certain désordre suggère l'atelier.

 

François Boucher : Le peintre de paysage. Vers 1730-35. Huile sur toile de 41 x 32 cm. Vente Sotheby's en 2012, œuvre provenant de la collection d'Edmond de Rothschild. Des proches prêtent attention au travail de l'artiste : l'atelier est un espace de sociabilité qui valorise le peintre.

 

Pierre Subleyras (Saint-Gilles 1699 - Rome 1749), Autoportrait. 1746. Kunsthistorisches Museum, Vienne. Richement vêtu, le peintre très sûr de lui semble narguer le spectateur.

 

Pierre Subleyras, vers 1749, L'atelier de l'artiste. Akademie des Beaux-Arts, Vienne. On y reconnaît plusieurs de ses œuvres, comme à droite le Portrait du pape Benoît XIV aujourd'hui au Musée Condé, et un Hercule brisant ses chaînes en haut à gauche, ainsi que, au centre, L'Empereur Valens devant l'évêque Basile  dit aussi Messe de saint Basile, (1746) aujourd'hui dans la collection de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg. Le plus grand format a pour titre Le Duc de Saint-Aignan présente l'Ordre du Saint-Esprit au Prince Girolamo Vaini (1737) toile de 332 x 224 cm au Musée national de la Légion d'Honneur à Paris.

L'artiste dans un coin du tableau interpelle le spectateur comme pour affirmer la puissance de sa créativité.

 

Johann Georg Platzer (1704-1761) : L'Atelier du peintre, vers 1745. Cleveland Museum of Art. Cette huile sur cuivre bien que de petit format, 42 x 60 cm, est très riche de détails. Au centre un acheteur contemple une scène mythologique. Au fond à droite, un modèle nu pose pour plusieurs élèves qui travaillent le dessin. À gauche la femme peintre fait une pause dans sa peinture d'un nu féminin pour boire un verre de vin. Platzer ne met pas en valeur cette femme peintre mais montre la richesse et la diversité des interactions : l'atelier là encore constitue un espace de grande sociabilité. 

 

Détail de l'œuvre précédente : la pause de l'artiste.

 

Détail de l'œuvre précédente : la fabrication des couleurs.

 

Jan Josef Horemans le Jeune (Anvers 1714 - 1790). Cette version de L'Atelier du peintre inverse la hiérarchie habituelle : c'est le coloriste qui est au centre et non le peintre ; ce dernier se retrouve déplacé à gauche au second plan. Ici l'assistant prépare du rouge. Ces préparations se conservaient mal, mais à la fin du XVIIIe siècle, coloristes et marchands de couleur utiliseront des vessies de porc pour les conserver : l'artiste percerait la vessie avec une épingle et la presserait sur une palette. Cette technique se prolongera au cours du siècle suivant, cédant peu à peu devant l'innovation majeure : celle des tubes de couleurs. Ils libèreront les peintres de leur atelier... 

 

Hubert Robert (Paris 1733-1808). L'artiste dans son atelier. Vers 1760. Musée Städel,  Francfort-sur-le-Main. L'espace qui se prête aux œuvres de grand format est bien loin des ateliers accueillants peints par Platzer et Subleyras. 

 

Huber Robert, 1764  - L'artiste dans son atelier. Rotterdam, Musée Boymans-van Beuningen. Le peintre, qui a séjourné à Rome entre 1759 et 1765, s'est peut-être installé momentanément dans le salon du bailli de Breteuil, ambassadeur de l'Ordre de Malte à Rome — salon dont H. Robert a par ailleurs esquissé une sanguine où l'on reconnaît plafond, table et décor de fenêtre (Louvre, département des arts graphiques). Ici l'atelier diffère de ses représentations précédentes : si ce n'est un certain désordre dans cette vaste pièce, le peintre sans chevalet n'est qu'un élément de la composition. 

 

William Hogarth (Londres 1697-1764) exerce son art, son génie, en solitaire .Rien ne paraît de son atelier. Autoportrait, 1757, 45 x 42 cm. National Gallery, Londres. L'esquisse n'a pas encore reçu les couleurs méthodiquement rangées sur la palette. L'artiste se représente fort bien vêtu et concentré sur son projet.

Fameux portraitiste, Hogarth a peint d'autres autoportraits, notamment avec son chien, mais ici il peint Thalie la muse de la comédie.
 

 

 Voici, attribuée au florentin Giuseppe MacPherson (1726-vers 1780), la Conversation à l'atelier du peintre Johann Zoffany. 1772 env., Palais Pitti, Florence. On retrouve de nouveau du monde dans l'atelier qui évoque plutôt un salon de réception qu'un espace de travail .

 

 

Et plus de monde encore ici. Louis-Léopold Boilly (La Bassée 1761 - Paris 1845). Réunion d'artistes dans l'atelier d'Isabey. Salon de 1798. La scène se passe sous le Directoire dans un décor néoclassique où Minerve les observe. Parmi la trentaine de visiteurs, certains regardent le travail de Jean-Baptiste Isabey, on compte des peintres comme Gérard et Girodet, des musiciens comme Méhul, des acteurs comme Talma, des architectes, des sculpteurs... Cette peinture donne des artistes une image de gens respectables et nullement bohèmes.


 

 

 Au temps des Révolutions, les femmes s'emparent de l'atelier  

 

 

Marie-Guillemine Benoist (1768-1826). Autoportrait, 1786. Staatliche Kunsthalle Karlsruhe. Rare femme artiste à ne pas être l'épouse ou la fille d'un peintre, elle a été l'élève d'Elisabeth Vigée-Lebrun dès l'âge de 13 ans. En 1786 elle intègre l'atelier de Jacques-Louis David. Vêtue de riches étoffes, l'épaule dénudée, l'artiste se met en valeur. 

 

Marie-Denise Villers née Lemoine (1774-1821) dite aussi Nisa Lemoine : Portrait de Marie Joséphine Charlotte du Val d'Ognes. Exposé au Salon de 1801, Metropolitan Museum, New York. Considéré comme un autoportrait de Marie-Denise Villers après avoir été attribué à Jacques-Louis David lors de l'achat par le musée américain. Ici encore, la représentation de la jeune femme compte plus que son occupation d'artiste : le chevalet a laissé la place à un simple carton à dessin...

Sœur de Nisa, Marie-Victoire Lemoine (1754-1820) a peint cet Intérieur de l'atelier d'une femme peintre en 1789 mais exposé au Salon de 1796. Metropolitan Museum, New York. 

En fait on distingue peu cet intérieur mais surtout l'artiste posant en pleine lumière tandis que la jeune élève s'applique...

Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803) : Autoportrait avec deux élèves, Marie-Gabrielle Capet et Marguerite Carreaux de Rosemond. Metropolitan Musem, New York, Salon de 1785. L'artiste a divorcé de son premier mari Nicolas Guiard en 1793 et s'est remariée en 1799 avec François-André Vincent : ils figurent tous deux sur la peinture suivante. Adélaïde Labille-Guiard a été admise à l'Académie Royale de peinture en 1783, en même temps qu'Elisabeth Vigée-Lebrun, autre célèbre portraitiste.

On retrouve dans ce tableau les riches vêtements et la belle tournure de l'artiste... Sous le regard admiratif de ses jolies élèves elle transforme le métier de peintre en un art de salon.
 

Marie-Gabrielle Capet (1761-1818). L'Atelier de Madame Vincent. 69 x 83 cm. Exposé au Salon de 1808. Neue Pinakothek, Munich. Cette scène d'atelier riche de quinze personnages est pour Marie-Gabrielle Capet (qui s'est représentée au premier plan à gauche tenant une palette) un hommage rendu à Adélaïde Labille-Guiard (alias Madame Vincent, de longue date son amie après avoir été son professeur). Celle-ci, en présence de son mari François-André Vincent (lui-même accompagné de ses élèves et penché sur le tableau), est en train de faire le portrait de Joseph-Marie Vien (1716-1809) qui a posé une esquisse sur la table. Ancien directeur de l'Académie de France à Rome, Vien est un notable de l'Empire, comte et sénateur. Derrière lui, un couple formé son fils Joseph-Marie Vien le jeune, également peintre, et sa belle-fille Rose-Céleste. - Marie-Gabrielle Capet est principalement connue pour ses pastels, ses miniatures et ses portraits et cette œuvre est sa seule composition à comporter plusieurs personnages. (plus d'info).

 

De Louis-Léopold Boilly nous viennent deux toiles où figurent des femmes artistes.  Tout d'abord celle-ci : Atelier d'une femme artiste, 1800, Musée Pouchkine, Moscou. 

 

Puis cet  "Atelier du peintre. 1800. National Gallery of Art, Washington. À bien regarder, dans l'ombre, à droite,  pourrait bien se cacher le peintre Boilly pendant que ses admiratrices observent, l'une un dessin, l'autre une statuette. Le buste présent sur la table était au fond de l'atelier dans la peinture précédente. On note la ressemblance des deux femmes peintres dans un atelier à peine en désordre !

 

Hortense Haudebourt-Lescot (Paris, 1784-1845). Atelier à Paris. 1820 environ. Née Antoinette Cécile Hortense Viel, elle signa sous le nom de Lescot, son beau-père, avant d' épouser l'architecte Haudebourt en 1820. Elle passe pour avoir été l'élève d'Elisabeth Vigée-Lebrun.

 

Amélie Legrand de Saint-Aubin. (1798-?). L'atelier de l'artiste. 1833. Musée des Beaux-Arts de Caen. Ici la femme peintre n'apparaît pas en premier plan ; ce qui fait l'artiste c'est cet espace ouvert à la sociabilité, aux conversations entre femmes bien nées.

 

Marie Bashkirseff. (Ukraine 1858 - Paris 1884). L'Académie Julian à Paris. 1881. Musée des Beaux-Arts de Dniepropetrovsk, Dnipro, Ukraine. - Au centre et au premier plan, la femme au chapeau tenant une palette est Marie Magdeleine Real del Sarte, épouse et mère de sculpteur.  En 1880, l'académie Julian avait ouvert un nouvel espace réservé aux femmes rue Vivienne. 

 

Jean-Baptiste Camille Corot (Paris 1796-1875). L'atelier de Corot, jeune femme assise devant un chevalet. 1865-68, Musée du Louvre. La jeune femme, mandoline à la main, admire un petit paysage dans la manière de Corot. Ainsi l'artiste se met en valeur par cette mise en abîme. Une version identique est à la National Gallery de Washington. 

 

Edgar Manet (Paris 1832-1883). Portrait d'Eva Gonzalès. 1869-70. National Gallery, Londres. Elle est entrée à l'atelier de Manet en 1869. Elle a posé pour des peintres impressionnistes. La jeune élève paraît bien songeuse, avec son  regard perdu et son sourire esquissé : l'art pictural porte du rêve ?          

 

 Entre Romantisme et Réalisme 

 

Jakob Alt (Francfort 1789 - Vienne 1872). Blick aus dem Atelier des Künstlers in der Alservorstadt gegen Dornbach. 1836.  C'est surtout un peintre de paysages d'Autriche et d'Italie. Le peintre n'est pas représenté, sa présence est suggérée par divers objets. Comme si le paysage encadré dans la fenêtre se projetait de lui-même sur la toile...

 

Georg Friedrich Kersting (1785-1847). Caspar David Friedrich dans son atelier vers 1811. Kunsthalle, Hambourg. Nul paysage à contempler par la fenêtre. Kersting est connu pour ses peintures d'intérieurs. Friedrich est au travail, dans la solitude de l'atelier dont l'éclairage est limité à l'une des deux fenêtres. L'artiste s'applique, concentré sur un paysage qu'il retouche avec l'aide d'une canne adaptée aux grands formats. 

 

Georg Friedrich KerstingCaspar David Friedrich dans son atelier. 1812Berlin Alte National Galerie. Dans cette version les lieux et le matériel n'ont pas changé. Deux palettes sont accrochées au mur. Mais ici l'artiste prend du recul, son œuvre peut-être achevée...

 

Léon-Mathieu Cochereau (1793-1817). Intérieur de l'atelier de Jacques-Louis David. 1813. 90 x 195 cm. Musée du Louvre. Plusieurs élèves sont à l'œuvre sous le regard du maître. L'éclairage limité accentue les contrastes d'ombre et de lumière sur le modèle, connu sous le nom de Polonais. 

 

Horace Vernet (Paris 1789-1863). L'atelier de l'artiste. Vers 1820. 52 x 64 cm. Coll. part. Le peintre donne la vision d'un atelier surpeuplé, très animé, où il semble difficile d'atteindre une concentration propice à la création d'autant plus avec un cheval pour modèle !  Vernet, la palette à la main, fait mine de se battre en duel avec un de ses élèves tandis que d'autres visiteurs jouent de la musique — militaire ? — avec piston et tambour. Assis tout à droite, Auguste, comte de Forbin, alors directeur du musée du Louvre et peintre lui-même, avait organisé un voyage d'artistes en Orient au cours duquel mourut son neveu le peintre Cochereau.

 

Anthony Oberman (Amsterdam 1781-1845), L'Artiste dans son atelier. 1820. Rijksmuseum, Amsterdam. Le visiteur contemple un paysage que lui présente le peintre qui a souvent peint fleurs et chevaux. Dans son atelier, plutôt bien aménagé, il broie les couleurs (le pilon est sur la table à gauche): ainsi préparées elles sont conservées dans des outres en vessie de porc placées sur le rebord de la cheminée. L'artiste semble suspendu à l'appréciation de ce visiteur..

 

 

Josef Danhauser (Vienne 1805-1845). La salle de classe. 1828. Galerie du Belvedere, Kunst Historisches Museum, Vienne. La porte s'ouvre, entre le maître avec palette et canne. La encore, on admire les poêles. L'entrée de l'artiste semble surprendre les élèves....

 

Josef Danhauser : Scène comique à l'atelier. 1829, Galerie du Belvedere, Kunst Historisches Museum, Vienne. Un chat et un chien se mettent de la partie pour saboter les respectables travaux des artistes. 

 

Ferdinand Telgmann (1811-1897). Dans l'Atelier, - 1834 - Huile sur toile, 79 x 97,5 cm, Museumslandschaft Hessen, Kassel. C'est une pièce sans ornements ; une banale fenêtre  éclaire  les chevalets du maître tenant sa palette et ceux de ses deux élèves. Un paravent cache d'inutiles plâtres. Comme dans la représentation précédente, on remarque la présence d'un poêle allumé. Le silence et la concentration semblent émaner du peintre au centre du tableau.

 

Johann Peter Hasenclever (Remscheid 1810 - Düsseldorf 1853) : Scène d'atelier. 1836. Museum Kunstpalast, Düsseldorf, ville où il avait fréquenté l'Académie des Beaux-Arts. Un nain, la bouteille à la main et sans doute un peu gris surgit dans l'atelier déconcentre le maître, ses élèves, quelque visiteur et même la servante : l'atelier apparaît bien comme un espace ouvert sur la société et ses imprévus ! 

 

Adolphe Dillens (Gand 1821 - Bruxelles 1877). L'Artiste dans son studio. 1849. coll. part (Web gallery of art). Fils du peintre Juliaan, Dillens propose ici une œuvre assez romantique. Est-ce avec son modèle que le peintre discute de son œuvre ? Tous deux semblent fort proches...

 

Vassili Vladimirovitch Pukirev (1832-1890), L'Atelier de l'artiste, 1865, Galerie Tretiakov, Moscou. Peintre d'icônes réputé, Pukirev montre ici des popes satisfaits d'une œuvre qu'on leur présente dans un atelier décoré d'antiques. Le peintre apparaît en second plan : sa réussite dépend de ces notables commanditaires.

 

Gustave Courbet : L'Atelier du peintre. 1854-55. Musée d'Orsay. Par sa dimension, par sa composition, c'est beaucoup plus que la représentation banale d'un atelier de peintre. Dans la lettre qu'il adresse à son ami Champfleury en janvier 1855, Courbet affirme : « C'est l'histoire morale et physique de mon atelier, première partie. Ce sont les gens qui me servent, me soutiennent dans mon idée, qui participent à mon action. Ce sont les gens qui vivent de la vie, qui vivent de la mort. C'est la société dans son haut, dans son bas, dans son milieu. En un mot, c'est ma manière de voir la société dans ses intérêts et ses passions. C'est le monde qui vient se faire peindre chez moi. » 

Mais c'est aussi un refus de l'art académique et de la tradition avec ce saint Sébastien rejeté dans l'ombre derrière la toile en chantier. Selon Courbet, il y a, « à gauche, l'autre monde de la vie triviale, le peuple, la misère, la pauvreté, la richesse, les exploités, les exploiteurs, les gens qui vivent de la mort ». Et tout à droite, des artistes amis du peintre avec complètement à droite Charles Baudelaire lisant. Au centre Courbet peint, inspiré par une Vérité toute nue, allégorie du réalisme. 

 

Frédéric Bazille (1841-1870) Atelier du peintre. 1870. 98 x 128 cm. Musée d'Orsay. Le peintre est au centre et face à lui c'est Edgar Manet. Edmond Maître est au piano. Accroché au mur de gauche, Le pêcheur à l'épervier, peint en 1868 (Remagen, collection Rau for Unicef).  Engagé en 1870 dans un régiment de zouaves, Frédéric Bazille mourut au combat à Beaune-la-Rolande. Peu de  désordre, deux fauteuils confortables et un piano : cet atelier très "bourgeois" évoque plutôt un salon.

 

Edgar Degas (1834-1917) : James Tissot dans son atelier. 1867-68. Metropolitan Museum of Art, New York. - Bien avant sa retraite du château de Buillon dans le Doubs, James Tissot avait son atelier à Paris qu'il quitta pour s'installer à Londres en 1871. Dans cet autoportrait l'artiste semble lassé : être peintre, c'est beaucoup de travail pour peu de reconnaissance?

 

Henri Fantin-Latour (1836-1904). Atelier aux Batignoles. 1870. Musée d'Orsay. Quel peintre adroit ce Fantin-Latour, pas une tache de peinture sur son pantalon... Pendant que Fantin-Latour s'est représenté faisant le portrait de Zacharie Astruc (critique d'art, peintre et poète), amis et visiteurs observent la scène : de gauche à droite le peintre prussien Otto Scholderer, Auguste Renoir, le romancier Émile Zola, Edmond Maître, Frédéric Bazille, et Claude Monet. Sur la table un vase japonais de Laurent Bouvier et une statue de Minerve.

 

José Ferraz de Almeida Junior (1850-1899) : Le repos du modèle, 1882. Musée des Beaux Arts de Rio de Janeiro. On a déjà remarqué un piano dans l'atelier de Frédéric Bazille.

 

Luis Jiménez Aranda (Séville 1845 - Paris 1928), En el estudio del pintor, 1882, Musée du Prado, Madrid. Venu assister à la séance de pose, le personnage central — par sa tenue vestimentaire — situe la scène dans le contexte du siècle précédent, et renvoie l'artiste au second plan. 

 

Jean-Paul Sinibaldi. (1857-1909). L'Atelier. Vers 1890. Peinture bien académique mais une composition intéressante. On imagine que le visiteur a commandé le portrait de sa maîtresse... 

 

Georges Achille-Fould (1865-1951). Rosa Bonheur dans son atelier. 1893. Musée des Beaux-Arts de Bordeaux. La célèbre peintre animalière Rosa Bonheur est plus connue pour ses scènes des campagnes françaises que pour ces lions. Georges Achille-Fould — dont la sœur Consuelo a également fait le portrait de Rosa Bonheur — est une femme peintre qui a occulté son prénom Valérie.

 

Carl Larsson (Stockholm 1853-1919), L'Atelier, 1895. Le peintre suédois ne s'est pas représenté dans cet atelier lumineux. Dans cette aquarelle, la majesté du bureau semble indiquer que cet artiste est d'abord un dessinateur, notamment illustrateur de livres pour enfants. 

 

Henri Matisse (1869-1954). L'atelier rose. 1911. Musée Pouchkine, Moscou. Matisse  ne figure pas en personne dans cet "atelier rose" : ses créations symbolisent l'artiste.. 

 

Max Liebermann (Berlin 1847-1935). L'atelier de l'artiste. 1902. Musée d'Art de Saint-Gall. Cherchez l'artiste. Il est dans le reflet d'un miroir... À moins que ce ne soit un acheteur. L'atelier suffit à "révéler" l'artiste.

 

Ignacio Zuloaga y Zabaleta (1870-1945). Mon Oncle Daniel et sa famille, 1910. Le peintre basque fait ici le portrait d'une famille réunie autour d'un chevalet.

 

 

Alexandre Iakovleff (Saint-Pétersbourg 1887- Paris 1938). Autoportrait, 1917. Il a quitté la Russie en 1917 pour devenir ensuite le peintre officiel de la Croisière Noire et de la Croisière Jaune. L'artiste semble prendre à parti le spectateur: il s'affirme, sûr de lui et de son geste très technique.
 

 Un dernier siècle d'atelier du peintre 1920-2020 

 

Les cent dernières années se placent sous le signe de l'éclectisme — sans compter les variantes de l'abstraction qui ne peut être prise en compte dans notre tour d'horizon — sinon de la cacophonie. Qu'on en juge :

 

Lucien Simon (1861-1945). L'Atelier. 1922 - Musée Lécuyer, Saint-Quentin. Au lendemain de la Grande Guerre, alors que les Avant-Gardes s'imposent, il reste indépendant des courants nouveaux dans cette mise en scène théâtrale soulignée par le rideau tiré, l'artiste trônant au centre du tableau comme dans L'atelier de Madame Vincent en 1808. Il se passionne aussi pour la côte bretonne comme le suggère le paysage accroché au mur. 

 

Mela Muter (Varsovie 1876 - Paris 1967). Modèle devant le miroir. 1920. Gilden's Art Gallery, Londres. Grâce au miroir, Mela Muter s'est représentée peignant son modèle dans un style qu'on peut qualifier d'expressionniste.

 

François Barraud (1899-1934), L'Atelier des Entre-deux-Monts, 1928, huile sur toile 56 x 58,5 cm. Il est intéressant de remarquer que le peintre suisse reprend ici une disposition fréquente à la Renaissance : l'ouverture de l'atelier sur une seconde pièce, où l' on distingue des toiles exposées et une silhouette en chapeau. Le dénuement se remarque à  la robe trouée au coude, au simple banc sur lequel sont assis les personnages ; on notera que le peintre est gaucher, ce qui est rare dans notre corpus.

 

Lotte Laserstein (1898-1993). Dans mon atelier. 1928. Collection Hornstein, Montréal. L'artiste aux cheveux courts tient à la main une étonnante palette. Par la baie de l'atelier, on découvre un panorama urbain, sans doute Berlin qu'elle quitta en 1937 pour se réfugier en Suède. Le modèle est son amie Traute Rose. Un sentiment de grande sérénité émane de ce tableau.

 

Palmer Hayden (1890-1973). The Janitor who paints. c.1930. Smithsonian American Art Museum, Washington D.C. - Dans le cadre de la Works Progress Administration, il s'est consacré représenter  la vie dans le Sud des États-Unis et la société afro-américaine. Ici pas d'atelier: l'artiste peint au domicile du modèle. Sa cravate marque sa position sociale .

 

Bernard Buffet (1928-1999). L'Atelier. 1947. Les objets comme l'artiste sont privés de tout volume.Avec la multiplication des lignes noires, anguleuses, rien n'a plus de poids: rares sont les tableaux d'atelier de peintre aussi tristes que celui-ci. Dix ans plus tard il sera un dandy millionnaire. 

 

Raoul Dufy (Le Havre 1873 - Forcalquier 1953). L'atelier de l'artiste à Perpignan. 1947. MNAM, Centre Pompidou. En l'absence du peintre on admire une marine sans doute inspirée par l'enfance havraise. Une fois encore, l'œuvre symbolise l'artiste : si sûr de son art qu'il n'a nul besoin de se mettre en scène ?

Salvador Dali (1904-1989). Dali de dos peignant Gala vue de dos éternisée par six cornées virtuelles provisoirement réfléchies par six vrais miroirs. 1972-1973. Fondation Gala-Salvador Dali. La technique "paranoïa-critique" a éloigné Dali de la majorité des surréalistes.

 

Agnès Boulloche (1951-2019). L'atelier du peintre. 2010. Cela sent la fantasy des romans pour la jeunesse. Ses peintures sur bois, sur toile ou sur papier, réalisées dans son atelier de l'île de Ré s'inspirent en fait des vieux bestiaires médiévaux sinon de Hieronymus Bosch.

 

Thierry Angot. Le peintre surréaliste dans son atelier. 2020. Cet incroyable mélange inspiré de Picasso, de Miró et de Basquiat ne montrerait-il finalement pas que le surréalisme est toujours bien vivant ?

 

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Et pour finir... l'artiste américain George Deem, connu pour ses citations picturales, nous suggère une conclusion avec son interprétation de l'atelier du peintre David, tandis que l'anglais Damian Elwes a approfondi cette idée avec les ateliers de peintres du XXe siècle.

 

George Deem (1932-2008). Atelier de Jacques Louis David. 1996. Museum of American Art, New Britain, Connecticut. Le peintre David est ainsi placé au centre d'une histoire de la peinture des XVIIIe et XIXe siècles par l'artiste étatsunien. On retrouve ici le tableau de Léon-Matthieu Cochereau, Intérieur de l'atelier de David, qui sert de base à cette nouvelle composition. Tout au fond c'est une citation d'Edgar Degas, portraits d'Edmond et Thérèse, duc et duchesse de Morbili (1867 au Musée des Beaux-Arts de Boston). A gauche, occupée à de la couture emprunt au tableau de Gilbert Stuart, Mrs Richard Yates (1793, National Gallery, Washington). Au centre, Madame Charles-Mouis Trudaine (1826, Louvre) Portrait de Louise Pastoret (1826, Louvre) sont empruntées au peintre David. A gauche, bras replié, c'est Lecture interrompue de Camille Corot (1870, Art Institute of Chicago), au premier plan Le jeune dessinateur de Nicolas Lépicié (1772, Louvre) et la Nature morte : Coin de la table (1873, Art Institute of Chicago) d'Henri Fantin-Latour. (La source de ces informations est le site Georgedeem.org).

 

Damian Elwes est né à Londres en 1960. Après notamment des études d'histoire, il lui est venu l'idée de visiter et peindre les ateliers d'artistes. Il a ainsi fait revivre les ateliers de Matisse, Duchamp, Frida Kahlo, Basquiat, Warhol... Elwes s'est particulièrement intéressé à Picasso, peut-être parce qu'il avait lui-même vécu dans le sud de l'Espagne avec son père artiste, au pays natal du créateur des Demoiselles d'Avignon.

 

L'atelier de Picasso au Bateau-Lavoir

En 2005-2018, une série de toiles a été consacrée à la Villa Californie à Cannes, que Picasso acheta en 1955. L'œuvre comprend donc plusieurs panneaux contigus formant panorama, comme celui qui est reproduit ici. Pour ses reconstitutions Damian Elwes ne se borne pas à mettre en scène des œuvres réalisées dans ces ateliers, il réunit une importante documentation sur les objets présents en se fondant sur des photographies. 

 

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Thème aux multiples variations, l'atelier du peintre, lieu de création, est aussi l'univers de (presque) tous les possibles, l'espace de toutes les rencontres. On y a même rencontré un cheval ! Le peintre s'y donne à voir dans une majorité de cas, ajoutant son autoportrait à ses modèles. Si les artistes ont su souvent s'y mettre en valeur, ils y ont aussi donné à voir leur existence parfois miséreuse. En peignant leur atelier — où ceux d'autres artistes — ils rappellent au visiteur ce que les œuvres accrochées aux cimaises ont coûté de patience et d'effort.

 

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