Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

   

Paru en 1963, ce roman de H. Böll  s’intitulait  en version originale, « Les réflexions d’un clown » — « Ansichten eines Clowns ». Le titre français « la Grimace » semble quelque peu réducteur. En effet, si Hans Schnier est bien un clown amer, abandonné par la femme de sa vie, il incarne surtout la révolte de certains intellectuels allemands dans les années 1960. Bien plus que grimaçants, ses propos dénoncent avec virulence l’hypocrisie d’une société qui évite de se souvenir des crimes commis par le passé. L’auteur s’en prend aux groupes catholiques, aux bourgeois conformistes, à sa lignée des « Schnier-lignite » milliardaires qu’il a décidé de fuir.

   À vingt et un ans, après une scolarité chaotique, Hans Schnier avait choisi de devenir clown, « entreprise extrêmement sérieuse » quoi qu’en pensent « ces gens-là — sa famille — », qui ne comprennent rien à rien. Sans doute savent-ils que pour faire un bon clown il faut être mélancolique, mais que pour un clown la mélancolie soit une affaire extrêmement sérieuse, voilà qui ne leur vient pas même à l’esprit ». En effet, « artiste comique selon la désignation professionnelle », tout authentique clown rappelle l’ancien bouffon : en marge de la société, détaché du présent, mémoire du passé, il dissèque et stigmatise ses contemporains à travers les numéros qu’il crée. Pendant six ans Hans fut un clown apprécié, heureux avec Marie Derkum, « la créature catholique dont il avait tellement besoin ». Ils se sont brouillés à propos des formalités de mariage et Marie lui a préféré Heribert Züpfner, petit-bourgeois membre d’une organisation catholique. Mais Hans considérait Marie comme son épouse et ce faux adultère le hante. Il tombe peu à peu dans la déchéance psychologique, or « il n’existe rien de plus déprimant pour le public qu’un clown qui éveille la pitié ».

     En outre, « (il) entre en scène tout à fait ivre ». « Je ne suis pas un poivrot » assure-t-il, « mais l’alcool me fait du bien depuis que Marie m’a quitté ». Ses cachets d’artiste se réduisent à peau de chagrin et Hans liste les noms de ceux auxquels il pourrait emprunter un peu d’argent : — son frère Leo fraîchement converti au catholicisme, ou son grand-père...— ses coups de téléphone alternent avec ses longs monologues et donnent son rythme au récit. Miséreux et affamé Hans en vient à prendre ses rêves pour la réalité... « je n’aurais pu jurer que tout cela fut vrai »... concède-t-il.

    Plus il sombre, plus s’affirme sa révolte contre sa famille, contre la bourgeoisie, contre l’église, contre leur refus d’assumer leurs responsabilités pendant la guerre. Hans ne peut pardonner à sa mère, désormais présidente d’une société pour « la réconciliation interraciale », d’avoir envoyé Henriette, sa jeune soeur de seize ans, en 1945, aux batteries antiaériennes pour « chasser de notre terre allemande sacrosainte tous ces judeo-yankees » : la jeune fille y perdit la vie. Hans ne peut pardonner à « sa famille, accroupie sur ses putains de millions » de l’avoir abandonné ; le clown déchu qui n’est « pas pieux, pas même pratiquant », qui récuse catholiques, protestants ou athées  aux discours mensongers, dénonce l’hypocrisie des « leaders du catholicisme allemand, vaniteux et mesquins » comme ces bourgeois qui prétendent croire « en Dieu, à l’argent abstrait et à des choses comme l’État et l’Allemagne ».


 

   « Je prends les choses comme elles viennent et m’attends à finir dans le ruisseau » : Hans en vient à mendier sur les marches de la cathédrale de Cologne. Marginal protestataire, il est le porte voix de H. Böll, révolté contre le pouvoir du « catholicisme politique » dans l’Allemagne des années 1960. Le romancier fait partie du mouvement dit de « la littérature des ruines » un groupe d’intellectuels qui dénonçaient les choix de leur pays sous l’ère Adenauer. Roman émouvant, tragique et révolté, « La Grimace » éclaire une société et une époque peu évoqués en littérature et ne saurait laisser indifférent.


 

   • Heinrich Böll. La grimace. Traduit par S. et G. De Lalène. Éditions du Seuil, , 1964. 282 pages.

Chroniqué par Kate

Tag(s) : #LITTERATURE ALLEMANDE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :