Pour Donovan et Mélania, jeunes mariés issus de la bourgeoisie catholique de Cape Town, la lune de miel à l’île Maurice a tourné au drame, les conditions météo ayant contraint leur avion à atterrir à Mayotte. E. Ébodé choisit là une situation énonciative astucieuse. Le regard de ces deux étrangers assure au lecteur une certaine objectivité du roman reportage. Mais le romancier se réserve aussi des coups de griffe de sa plume rebelle... Nassur, un professeur mahorais, conte aux sud-africains la belle histoire de l’île sans leur en cacher l’inquiétant avenir puisque « le tourisme n’a jamais intéressé grand monde (...), le tertiaire est faible et notre belle mangrove (...) est devenue le dortoir et l’assommoir des déshérités ».
Donovan, jeune partisan idéaliste de Mandela, considère vite Mayotte comme une part d’Afrique à sauver. C’est lui qui contraint Mélania à retourner y vivre.
Toujours mu par le désir d’agir, de s’impliquer pour autrui, il ne veut pas comprendre que la pire insulte pour les Mahorais, c’est de les prendre pour des Africains, eux qui se veulent « muzungu », blancs. Son projet reste de sauver les jeunes de la misère en les éduquant,comme l’affirmait Mandela : « l’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde ».
Mélania se monte plus perspicace et réaliste.
Avec leur petite Fiona, née le 5 Décembre 2013, le jour de la mort de Mandela, c’est à Cape Town que s’épanouira leur couple. Toutefois, elle ne reste pas insensible aux tragédies qui frappent les habitants de l’île aux fleurs. Autour de leur appartement, dans la résidence « le balcon de Dieu », elle voit se multiplier les bangas, les taudis insalubres où les glissements de terrain engloutissent des familles entières. C’est ainsi que Djamaldou a perdu sa mère et toute sa fratrie. Un jour, il a sauvé Fiona de la noyade et Donavan n’a eu de cesse de le retrouver pour le remercier... Bien mal lui en a pris. Partout des hordes d’enfants abandonnés par leurs parents errent dans les rues. Drogués, affamés, livrés à la prostitution ou à la délinquance, ils se mêlent aux immigrés venus des Comores, d’Afrique ou de Madagascar. Plus les années passent, plus l’insécurité gagne. À partir de 2016, grèves et mouvements sociaux se multiplient. Tous dénoncent « l’État, absent depuis longtemps ». Et la « feuille de route » du président Macron n’augure guère de la renaissance de l’île.
E. Ébodé, natif du Cameroun, conjugue avec finesse l’action et le commentaire sans jamais lasser le lecteur. On appréciera son humour ravageur lorsqu’il s’en prend aux personnalités politiques françaises, à la ministre des Outremers en particulier.
Sa plume, querelleuse et parfois poétique, donne bien à voir les paradoxes du personnage principal, Mayotte, écartelée entre les violences des hommes et la grandiose beauté de la nature.
• Eugène Ébodé. Le Balcon de Dieu. Continents noirs, Gallimard, 2019, 228 pages.
Chroniqué par Kate