Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Il  aura fallu à l’auteure « un an à piocher dans les souvenirs d’Edmond Charlot, broder, imaginer » pour composer Nos richesses, où le roman alterne avec l’enquête historique. Avant la Seconde Guerre mondiale, E. Charlot ouvrit au 2 bis rue de Charras, aujourd’hui rue Hamani, une petite librairie, “les Vraies Richesses”, clin d’œil à Giono : « un lieu pour les amis qui aiment la littérature et la Méditerranée ». Idéaliste engagé, il révéla de jeunes talents et Albert Camus ne fut pas le moindre. E. Charlot croyait au pouvoir des livres de rapprocher les hommes. Mais les difficultés économiques et la guerre d’Algérie eurent raison de son rêve. Décédé à Pézenas en 2004, il n’aura pas vu sa petite librairie transformée en boutique à beignets. Romans et poèmes n’en restent pas moins « Nos richesses » encore aujourd’hui  car « Un homme qui lit en vaut deux » : ainsi E. Charlot  accueillait-il le visiteur à l’entrée de sa librairie. Kaouther Adimi varie les situations énonciatives : elle invite le lecteur à un pèlerinage rue Hamani, prête voix aux petites gens du quartier qui en restituent la mémoire et imagine feuilleter les carnets de l’éditeur libraire. Elle orchestre ainsi une superbe ode à la littérature.

E. Charlot se voulait un éditeur engagé et rassembleur, projetant de « faire venir des écrivains de tous les pays de la Méditerranée, sans distinction de langue ou de religion » et de « s’opposer surtout aux algérianistes ». Soutenu par Jean Grenier il fit connaître Albert Camus en publiant Noces et L’Envers et l’Endroit, mais ne put éditer la trilogie de l’Absurde en raison de la pénurie de papier. Mobilisé à plusieurs reprises, il put compter sur l’aide de son épouse Manon, de son frère et d’amis. Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, malgré de sérieuses difficultés financières, il ouvrit à Paris la librairie “Rivages” mais se heurta à la concurrence des éditeurs parisiens, lui, le « bouseux » d' Algérie. La faillite à Paris, et les “Vraies Richesses” deux fois plastiquées en 1961 le laissèrent au comble du désespoir. E. Charlot aura tout sacrifié à son projet : « l’édition a mené ma vie, elle me prendra femme et enfants » notait-il... Conquise dans le sang et les ratonnades, l’Indépendance a fracassé le rêve d’amitié entrez les deux rives auquel E. Charlot s’était consacré. Reste à apprendre leur passé tragique aux jeunes algériens nés en France. K. Adimi imagine alors la rencontre entre l’ancien employé de la librairie, Abdallah, et le jeune parisien Ryad chargé de la vider. Apprenant l’histoire sanglante, peu à peu « il ne se sent plus jeune ». On comprend l’idée de l’auteure, née en 1986 à Alger. Mais la part romanesque de son récit reste la plus maladroite.

Nos richesses à été également publié à Alger par les éditions Barzakh, à la librairie “l’Arbre à dire” qui s’est lancée grâce au succès du récit de K. Daoud, Meursault contre-enquête. Une nouvelle librairie, comme une réincarnation des “Vraies Richesses” ? On le lui souhaite !

Kaouther ADIMI. Nos richesses. Seuil, 2017, 215 pages.

Lu et chroniqué par Kate

Tag(s) : #LITTERATURE FRANÇAISE, #ALGERIE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :