Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dans ce recueil intitulé Des putains meurtrières, il est moins question de prostituées, d'amour tarifé, que de souvenirs, de fragments autobiographiques et de la tristesse d'un exilé en quête d'un impossible enracinement. Plutôt que passer en revue les treize récits de ce recueil, place à quelques fils conducteurs.
 
Autobiographie
 
L'écrivain se met en scène sous l'initiale B. dans Derniers crépuscules sur la terre — un séjour à Acapulco avec son père qui mentionne son passé de boxeur — ainsi que dans Jours de 1978 et Vagabond en France et en Belgique. Ailleurs c'est Belano, hétéronyme de Bolaño, (également présent dans Amuleto et dans Détectives sauvages), feuilletant une anthologie de poètes français dans le court récit appelé Photos. D'autres fois simplement le « je » de l'autobiographie ou de la fiction — nul ne le saura.
Certains passages de ce volume éclairent, semble-t-il, la présence de Bolaño au Mexique y suivant sa famille en 1968, son bref retour au Chili en 1973, son exil en Europe. Ainsi le voit-on temporairement installé au Nord du Mexique, donnant des cours d'expression écrite dans Gómez Palacios, puis, poète bohème dans le District Fédéral où il passe bien des soirées avec un dentiste amateur d'art et de littérature (Dentiste). La courte expérience de retour au Chili occupe une partie de Carnet de Bal : « J'arrivai au Chili en août 1973. Je voulais participer à la construction du socialisme... En novembre pendant que je voyageais de Los Angeles à Conception, on m'arrêta à un contrôle routier et on me mit en prison... Au point du jour j'écoutais comment ils torturaient d'autres personnes, sans pouvoir dormir, sans rien à lire... Deux flics privés me sortirent du bourbier, d'anciens camarades du Liceo de Hombres de Los Angeles... En 1974 j'ai quitté le Chili, je n'y suis jamais retourné ».
Vient le temps des pérégrinations dans d'autres pays d'Amérique latine : la fiction intitulée Préfiguration de Lola Cura est située en Colombie. Trois ans après avoir quitté le Chili, en 1977, Bolaño s'installe en Europe, près de Barcelone qui devient le lieu de certains textes de ce recueil. Bolaño s'y est marié. Comme le Mexique, la Catalogne est présente dans bon nombre de ses textes tels le roman La Piste de Glace ou le recueil Appels téléphoniques. Barcelone capitale du football sert de cadre à la nouvelle du nom d'un joueur vedette (Buba). L'exil catalan se prolonge par des voyages en Europe : à Berlin B. retrouve un certain Mauricio, connu à Mexico, qui lui raconte ses aventures glaçantes en Inde (Œil Silva).
 
Un fou de littérature
 
Dans Vagabond en France et en Belgique, B. achète un vieux numéro d'une revue surréaliste ; il examine les noms des contributeurs et le voici parti sur les traces du situationniste belge Henri Lefebvre. Les références à la littérature, aux auteurs, à la lecture, forment un fil rouge qui se prolonge presque dans tous ces textes... La rencontre avec Alexandre Jodorowski à Mexico en 1970 se trouve dans Carnet de Bal, ainsi que la passion pour les œuvres de Nicanor Parra présenté comme le poète chilien plus important que Pablo Neruda et que la mère de l'écrivain aimait tant.
On sait que Bolaño tenait plus à son œuvre de poète que de prosateur, pourtant ce sont les nouvelles et les romans qui ont établi sa réputation ! Photos repose sur la lecture d'une anthologie poétique. Arturo Belano scrute les portraits des auteurs : d'où un long catalogue de noms, de titres, d'éditeurs, d'années d'éditions. Il fantasme sur les photos des poétesses : « Nadia et Vénus lui paraissent franchement splendides, je baiserais bien avec Nadia, se dit-il, jusqu'à l'aube... ». Le livre reposé, Belano reprend son chemin : « ...et peu après ses pas l'éloignent du village ».
 
Solitude, tristesse et mort
 
Le départ solitaire est une façon de conclure bien des textes : « Demain nous partirons «  (Derniers crépuscules sur la terre), « ...et quand je pus regarder de nouveau, elle n'était plus là » (Gómez Palacios), « Ensuite je me suis levé en faisant très attention et je suis parti » (Préfiguration de Lalo Cura). « Ensuite on prit un taxi et ils m'accompagnèrent jusqu'à mon hôtel » (Buba).
Menant la vie instable d'une sorte de poète beatnik nomade, Bolaño donne l'impression de véritablement sombrer dans la solitude et la tristesse. Jours de 1978 évoque l'exil catalan de Chiliens sombres après le putsch de Pinochet ; l'un d'eux choisit de se suicider. La solitude, le mal être, cela vaut aussi pour d'autres personnages rencontrés. Certains semblent trouver une compensation dans les plaisirs du sexe. Fils d'une actrice de films pornographiques et d'un « curé renégat », Lalo Cura évoque scenarii pitoyables, actrices et acteurs. Presque tous ont sombré dans la violence meurtrière de la Colombie « en 1999 il ne restait vivant que le Pajarito Gómez, les autres avaient été assassinés ou emportés par la maladie » et Lalo Cura, devenu sicario, semble disposé à liquider le survivant. Au contraire, l'héroïne solitaire et déterminée des Putains meurtrières enlève en moto un supporter à la sortie d'un stade et la relation sexuelle qui s'ensuit tourne à la torture pour Max...
On pourrait suggérer que les Putains meurtrières, en tant que titre du recueil, sont l'autre nom des pensées tristes et des rêveries morbides qui jalonnent ces textes et traduisent l'état d'esprit de Bolaño. Dans Le Retour, un couturier célèbre se livre à son penchant nécrophile et doit supporter la présence du fantôme du disparu.
Dans ce recueil, ma préférence est allée à Buba. Trois footballeurs d'un club de Barcelone passent du statut de remplaçants à celui de vedettes, grâce au rite sanglant, sans doute vaudou, de l'un d'eux. Mais après le transfert du brésilien Buba à Milan les performances des deux autres vont flancher et quand il mourra d'un accident de voiture leur carrière bientôt s'achèvera. Bolaño se savait déjà gravement malade quand ce texte parut. Il mourut le 14 juillet 2003.
 
 
• Roberto Bolaño. Des putains meurtrières. Traduit par Robert Amutio. Christian Bourgois. 2003, 285 pages. [Titre original : Putas asesinas, Anagrama, 2001.]
 
Tag(s) : #LITTERATURE ESPAGNOLE, #AMERIQUE LATINE, #CHILI
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :