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Ces nouvelles d'un auteur russe né en 1963 à Moscou évoquent plusieurs thèmes, dont l'exercice de la médecine est le plus notable : rien d'étonnant car l'auteur est cardiologue.
 
« Kombinat ». Le complexe papetier a donné son nom à la petite ville de Liebknecht mais il est désormais à l'arrêt. Son patron Aleksandr Iourievitch Oberemekov s'est enfui de l'usine en faillite après avoir fait saboter des machines. Quant à l'hôpital local, il végète faute de matériel et de personnel qualifié. C'est pourtant là que la jeune Alia Ovsiannika a été admise pour accoucher...
« La Tzigane ». Après avoir reçu une tzigane en consultation, un cardiologue qui exerce dans un hôpital de Moscou se rend à l'aéroport de Cheremetievo pour passer à l'autre versant de son existence. Il agrémente sa vie en escortant des malades riches qui vont se faire soigner aux Etats-Unis. Ceux-là se rendent à Portland, Oregon. Il rate donc ses amis de Portland, Maine. Sur le vol de retour il fait la connaissance d'une jeune femme qui s'en va adopter une petite-fille russe.
« Pièces sur l'échiquier ». Un tournois d'échecs bien pourvu de récompenses a été organisé à San Francisco. On a vu Ivanov le jeune immigré russe qui venait de changer son prénom de Matveï en Matthew rafler brillamment la cagnotte. Son père, qui enseignait autrefois à Saint-Pétersbourg, passait pour avoir dénoncé jadis des étudiants qui allèrent croupir au goulag en 1949. L'ouverture des archives permettra peut-être d'en savoir plus sur ces garçons arrêtés. Matveï avait fait ses débuts de joueur à Leningrad « capitale des échecs soviétiques ». Le prix à peine remporté, Ivanov reprend l'avion pour la Russie car son père est gravement malade ; il s'occupe en lisant les rubriques nécrologiques d'un journal américain. Quand il atteint l'escale de Rome où il a le temps de faire une brève visite touristique, il apprend que son père vient de mourir.
« Le petit Lord Fauntleroy ». En grande banlieue de Moscou, un petit hôpital où, le samedi, Eric —jadis lecteur de ce roman anglais— est l'unique cardiologue de service. Il vient d'acquérir une datcha des années vingt dans ce quartier bâti jadis pour accueillir d'anciens prisonniers politiques. A la cave, il découvre d'ailleurs un document de 1926 témoignant qu'une ancienne occupante des lieux a participé au « tsaricide » en 1881. Un jour, Eric est convoqué au FSB ­— « la Grande Maison qui a changé d'enseigne » — où, suite à une information reçue, un officier le met en garde contre un soupçon de trafics d'organes là où il travaille. Eric en écarte la possibilité : « Ce n'est pas le manque d'organes qui est en cause : rien qu'avec les accidents de la route, il y en a en pléthore. Mais pour réussir, il faut une organisation d'enfer... Or chez nous les choses les plus simples font défaut » glisse-t-il à l'officier dont la petite fille est morte à l'hôpital du FSB. Quelque temps plus tard, suite à une rixe, un jeune Tadjik se trouve entre la vie et la mort. Eric le fait transférer dans la clinique moscovite où exerce son ami Boria. Il apprendra plus tard, assez choqué, que le corps du Tadjik a alimenté des transplantations d'organes.
« Sous la vague marine ». Le titre, emprunté à un passage de l'Exode, raconte l'histoire de Sergueï qui, de géologue, est devenu pope. Son cas personnel témoigne du retour du religieux sous Gorbatchev et après la dissolution de l'Union soviétique. Sergueï est marié à Marina. Celle-ci passe son temps à regretter Mona, le chat qu'ils ont eu faute d'enfant. Sergueï n'est sans doute pas le plus charismatique des popes de Moscou, mais il ne regrette pas le temps où il était géologue. Quand des douleurs thoraciques l'amènent à se rendre aux urgences, il rencontre un vieil écrivain quasiment à l'agonie alors que son divorce n'est pas réglé et qu'il a mis enceinte une jeune personne. Il est aussi témoin d'un incident entre le médecin chef de service et les parents d'une vieille femme qui vient de décéder. La famille avait cru imaginer un crime parfait pour se débarrassée de l'aïeule de quatre-vingt dix-neuf ans... De retour chez lui, Sergueï, tout guilleret, se retrouve en forme comme jamais pour rejoindre Marina dans sa chambre.
 
 
• Mais ce recueil de nouvelles ne se limite pas au milieu médical. Ossipov montre aussi l'évolution du système politique, économique et social de son pays.
« Cape Cod » est une histoire d'émigration. Chourotchka et Aliocha se sont rencontrés du côté de Boston juste après l'ouverture des frontières par Gorbatchev. Elle est généticienne. Il est diplômé de l'Institut du Pétrole parce que mi-juif, il n'avait pas été admis à l'Université de Moscou. Ils conçurent leur enfant à la faveur d'une sortie à la plage près du Cap Cod où ils avaient joué à ramasser des cailloux, leur donnant les noms de personnages d' « Un héros de notre temps » de Lermontov. Bientôt mariés et parents d'un bébé, ils ont définitivement émigré en Amérique. Aliocha laissa son père seul à Moscou refusant de quitter la patrie. Le couple s'établit à Boston et sa réussite financière lui permit d'acheter une villa au Cape Cod — c'était leur rêve de jeunes gens quand ils s'étaient rencontrés. Depuis lors Chourotchka et Aliocha s'appellent Alex l'un et l'autre et leur fils Leo grandit en s'éloignant des racines russes au point de choisir des études à West Point.
Dans « Moscou-Petrozavodsk », un médecin de la capitale prend le train pour aller à un congrès en province. Deux personnages voyageant dans le même compartiment que lui seront arrêtés et tabassés par la milice. Il croit que cela s'est passé par sa faute alors qu'en fait il a permis d'arrêter deux voleurs et assassins. Il les avait pris pour des « navettes » qui — au début de la libéralisation de l'économie — gagnaient leur vie en allant acheter à l'étranger des marchandises déficitaires pour les revendre avec profit.
 
 
• L'évolution de la société revient de diverses façons : alcoolisme (« il fauchait juste assez pour pouvoir siffler sa bouteille de cognac matinale…»), agression à connotation raciste, sous-équipement généralisé des petits hôpitaux, course à l'argent de la Russie post-soviétique y compris de l'Eglise orthodoxe où l'on ne refuse pas les dons de provenance douteuse.
« Il y avait beaucoup de visiteurs et peu de vrais croyants, les gens qui assistaient aux offices changeaient tous les jours. En attendant que soient jugées leurs affaires civiles, ils faisaient des offrandes généreuses, et le père Serguiy remettait à l'évêque des sommes considérables (…) Au demeurant l'évêque n'était pas un mauvais hommes, simplement il se consacrait trop aux opérations financières dans le bâtiment. » (Sous la vague marine).
Deux textes font allusion à la guerre d'Afghanistan : les parents de Leo sont déçus par le choix de Leo qui ira servir en Afghanistan sous l'uniforme américain alors que son père avait échappé au service militaire soviétique par faveur médicale et donc à la guerre initiée par Moscou dans ce pays. A plusieurs reprises l'Amérique apparaît comme un pays merveilleux par opposition à la Russie où le travail manque dans les petites villes comme Kombinat, néanmoins, pour plusieurs personnages la Russie est synonyme de culture et les références de l'auteur ne se limitent pas à Lermontov. Le changement des dirigeants politiques est discrètement évoqué ; par exemple, un jour en entrant dans un réfectoire, le pope Sergueï surprend des bribes de conversation. « Tenez-le pour un autisme qui n'a pas été complètement surmonté ». Il ne s'agissait pas de propos malveillants sur son compte. C'était en 2000 et il comprend qu'on parlait de Poutine...
Ce livre est une véritable découverte. Les histoires que compose l'auteur suivent un cheminement souvent imprévu qui évite une narration monotone. Ossipov n'est pas le premier médecin-écrivain de la littérature russe : les précédents célèbres se nomment Tchekhov et Boulgakov !
 
 
• Maxime Ossipov. Histoires d'un médecin russe. Traduit par Elena Rolland. Verdier, 2014, 257 pages. (Les éditions Verdier ont publié un autre titre de cet auteur.)
 
Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE
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