Le pouvoir de l'éducation et des Lumières mis en échec : tel est au fond le sujet de cette biographie qu'Elisabeth Badinter a consacrée au prince Ferdinand de Parme (1751-1802). La principauté de Parme était passée des Farnèse aux Bourbon après 1731. Concrètement ce petit pays était sous la tutelle de la France et de l'Espagne.
En 1757, l'infant Philippe de Parme — fils du roi d'Espagne Philippe V et marié à Louise-Elisabeth une des filles de Louis XV — confie l'éducation de son fils de six ans à Auguste de Keralio un illustre militaire d'une quarantaine d'années, par ailleurs ami des Philosophes. Par la suite, d'autres éminents personnages vont le rejoindre pour développer la formation du jeune prince. Le plus prestigieux d'entre eux n'est autre que le philosophe Condillac, proche des Encyclopédistes. Le choix de ce Keralio a été inspiré par Bernis l'ambassadeur de France à Venise. Ainsi jusqu'en 1769, l'éducation du prince est-elle dirigée par un clan éclairé et francophile, contrastant avec le conservatisme religieux local. Et ça marche. « La bonne réputation de Ferdinand se répand comme une trainée de poudre dans la péninsule et hors d'Italie » note E. Badinter.
Mais le mythe du despote philosophe va bientôt voler en éclat. Ce revirement est largement dû à l'excès de rigueur dont les éducateurs avaient fait preuve à l'égard du prince héritier. La situation se renverse en effet dès 1769, année du mariage de l'infant avec Marie-Amélie de Habsbourg-Lorraine. Les hommes des Lumières sont bannis par l'infant qui pratique une politique réactionnaire sous l'influence de son entourage bigot. Toutefois, les pédagogues qui l'avaient encadré avaient continuellement eu à combattre son penchant pour les « petites pratiques » d'une religion dévote, l'infant multipliant prières et messes au lieu de se préparer à devenir un chef d'état — même si cette principauté ne comptait guère sur la carte européenne.
Dès lors Ferdinand de Parme devint « le prince des bigots ». Pourtant, l'homme qui a réintroduit l'Inquisition et les privilèges fiscaux des ordres monastiques ne se limitait pas à cette caricature. Un de ses biographes le qualifia de « bigotto illuminato » en raison de son intérêt pour les sciences, les lettres et les arts, curieuse alliance d'une foi sans faille et d'un intérêt soutenu pour le progrès des sciences. L'auteure, suivant en cela le témoignage du roi Gustave III de Suède qui visita la cour de Parme en 1784, reconnaît finalement que Ferdinand fut « l'un des souverains les plus éclairés d'Europe ».
Etonnant personnage que ce petit prince ! La lecture de cet essai apporte un éclairage judicieux sur les réalités de l'éducation au XVIIIe siècle, époque qui se flattait particulièrement de pédagogie. Mais de la théorie à la pratique ne dit-on pas qu'il y a un fossé.
• Elisabeth Badinter. L'infant de Parme. Fayard, 2008, 160 pages.