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Les troupes soviétiques sont entrées en Afghanistan en décembre 1979 et en sont ressorties dix ans plus tard. Le quotidien Komsomolskaia Pravda publia dès janvier 1990 des extraits du livre à paraître de Svetlana Alexievitch. Par la suite elle dut affronter un procès en diffamation... Avec ce livre de témoignages, ce « livre de voix » comme elle dit, l'auteure n'en était pas à son premier texte sur les témoins de la guerre puisqu'avait paru en 1985 son premier ouvrage de ce type : “La guerre n'a pas un visage de femme”. Quand j'ai lu “Les cercueils de zinc” une première fois lors de sa parution en France, c'était un titre parmi d'autres dans la déferlante des ouvrages qui traitaient de l'URSS finissante, celle des années Gorbatchev. Relire ce livre aujourd'hui, dans un tout autre contexte, celui du retour de l'empire russe, quand Poutine envoie ses soldats et ses avions en Syrie résonne-t-il différemment ? Relire ce livre aujourd'hui, au lendemain de l'attribution du Nobel de Littérature à son auteure, résonne-t-il autrement ?

 

D'abord il faut dire l'originalité de la démarche de Svetlana Alexievitch, la puissance de ses propos c'est-à-dire, en réalité, la puissance, l'émotion, la violence que contiennent les confessions qu'elle reproduit. Elle donne la parole à d'anciens combattants, vétérans qui n'ont souvent que vingt ans, revenus d'Afghanistan amputés de leurs jambes, ou revenus avec l'esprit malade, inadaptés à une société qui veut oublier le conflit aventureux lancé par Brejnev et auquel elle ne s'est pas opposée, ou si peu. Elle donne aussi la parole aux mères de soldats tombés en Afghanistan — les pères apparemment approuvent la soumission à l'idéologie patriotique et “internationaliste” venue d'en haut et relayée par les cadres de l'armée. Et ces mères éplorées et en colère dénoncent le manque de transparence de la part des autorités. L'armée cache le plus possible le fiasco de cette opération extérieure ; elle se tait sur les conditions dans lesquelles les jeunes gens ont été tués ; elle expédie des cercueils de zinc qui empêchent le déroulement des obsèques selon la tradition orthodoxe, le visage du mort visible durant la cérémonie.

 

Tous ces récits décrivent une guerre bien éloignée des représentations héroïques et lyriques de la Grande Guerre patriotique comme l'aiment (dit-on) les Russes. En 1812 comme en 1941, l'empire russe avait été envahi et il s'était vaillamment défendu. En 1979, il se serait agi de défendre les frontières méridionales de l'URSS, de devancer la présence américaine en Afghanistan, d'apporter de l'aide à un régime rejeté par sa population. Tout ceci en vain : l'URSS s'est effondrée juste après le retrait des troupes soviétiques ; les Américains ont débarqué à Kaboul en 2001 et aujourd'hui Moscou ne souhaite pas qu'ils s'en aillent. Dans “Les cercueils de zinc”, quelle guerre voit-on donc ? Des soldats mal équipés et mal préparés. Des massacres gratuits. Des morts inutiles. Un flot de sang et de souffrances. Evitez ce livre si vous êtes déprimé !

 

Svetlana Alexievitch est une résistante pacifiste. Elle reste une quasi-dissidente, hier comme aujourd'hui. Par le choix des témoignages, c'est la guerre qu'elle condamne, et en même temps la violence machiste de la société soviétique et post-soviétique. Plus qu'un Nobel de Littérature, c'est le Nobel de la Paix qu'il fallait lui attribuer.

 

Svetlana Alexievitch. Les cercueils de zinc. Traduit par Wladimir Berelowitch. Christian Bourgois, 1991, 285 pages.

 



 

 

Tag(s) : #LITTERATURE RUSSE, #Biélorussie, #Afghanistan, #HISTOIRE 1900 - 2000
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