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Écoutez quarante ans de la saga familiale des Hayek, ses secrets son âge d’or et sa ruine inscrite au plus près de l’histoire du Liban meurtri par les guerres ! Écoutez surtout l’histoire de trois femmes « qui avaient tenu tête à tout pendant des années », racontée par le chauffeur Noula dit Youssef, à la fois chœur comme dans l’antique tragédie, conteur assis sur « son » perron, témoin voyeur et confident ! Avec Jamilé la cuisinière ce duo de complices, tels les domestiques des pièces classiques, épie les membres du clan Hayek, commente leurs réactions, les conseille à l’occasion.
« C’était une autre époque » les années 50... Skandar Hayek, le patron, homme « réaliste et pragmatique » assoiffé de puissance et dur en affaires gérait aussi bien l’usine de textile que sa famille. Marie Ghosn l’avait épousé sous la contrainte, sans jamais oublier son amant Badi Jbeili. Quant à sa belle-sœur Mado, on lui avait ôté son promis avec la complicité du frère de Marie. S’ensuivit une haine féroce entre les deux belles-sœurs vivant sous le même toit. Le destin frappa une première fois : Skandar décédé, son fils Noula ruina le domaine tandis que sa fille chérie Karine menait joyeuse vie et que le cadet, envoyé en Irak pour le commerce du coton, oublia de revenir pendant dix ans...
L’effondrement du Liban accompagne celui du clan Hayek : le destin frappa de nouveau en 1975, « l’année funeste » de la guerre, les miliciens envahirent la propriété. Mais en 1978 tout s'inversa...
Majdalani s’attache à cerner les fortes personnalités de ces femmes qui refusèrent d’abandonner le domaine auquel leurs vies avaient été sacrifiées mais dont elles demeuraient les gardiennes. Les hommes, eux, n’ont pas le beau rôle : des miliciens vicieux, le fils aîné débauché, le cadet enfui au loin parce qu’ « il était las de ce monde ancien », — tiens, Apollinaire s’est glissé sous la plume de l’auteur...
Majdalani n’est pas avare des dates qui scandent l’extension de la violence au Liban, les conflits locaux entre chrétiens et chiites, les tensions avec les Palestiniens ; toutefois, nourri de l’histoire de son pays, il la croit connue du lecteur occidental qui se retrouve souvent à la peine. (Voir aussi : Le dernier seigneur de Marsad).
Hommage au courage des Libanaises, ce roman vaut surtout pour ce narrateur intarissable, observateur clairvoyant qui sait user d’humour et ferait volontiers la leçon à ses patronnes quand Noula sacrifie le domaine : « Elles auraient dû comprendre que ce garçon avait un grain ! ».
Un bon roman tragique qui échappe in extremis à la tragédie.
• Charif Majdalani. Villa des femmes. Seuil, 2015, 278 pages.
chroniqué par Kate